En tout début de matinée dans la baie très fermée de Geographic Harbor, un élan et un ours ont délaissé leurs fourrés pour venir brouter près de la petite rivière. UnE élan plutôt, puisque la bête n’avait pas de bois sur la tête. On l’appelle moose en anglais. Un ours aussi (ou peut-être une ourse pour le coup), qui avait mauvaise mine, plutôt mince et élancé que rond sur pattes, le poil de la cuisse arrière quasi absent … Les deux foulaient le sable les pieds dans l’eau, dans la grisaille matinale.

En milieu de journée, heure de la marée basse, on décide d’aller voir du côté de la rivière si quelques saumons nagent par là. Des mouettes et autres oiseaux pêcheurs ont pied, et se retrouvent fréquemment par ici. Il doit donc y avoir à manger, donc peut-être des saumons.

On s’équipe (pantalons étanches, veste chaude et veste étanche, bonnet, casquette, gants, bottes, spray à ours, sifflet, appareil photo, ça prend un petit moment …et c’est là qu’on se dit, ah mince, pipi …) et on part en annexe. On se rapproche de l’embouchure de la rivière, juste là où l’ours se trouvait quelques heures plus tôt .. b’en oui, au même endroit …

Comme trois joyeux lurons, on met pieds à terre, dans l’eau et le sable, jusqu’à mi-bottes et on part, mi-figue mi-raisin, sachant qu’on s’aventure sur le territoire du plus gros carnivore terrestre … !! et même si ceux qu’on a observés jusqu’ici mangeaient de l’herbe et des racines, on n’a pas envie de se frotter à eux de trop près.

Donc on avance, moi le sifflet sifflant gaiement, ou plutôt sifflant de manière affirmée mais les yeux pleins de points d’interrogation … on avance à peu près en groupe, et on réalise qu’on a de la peine à définir ce que veut dire « avancer de manière groupée » … Luron 1 est à 5 mètres de Luron 2, pendant Luron 3 avance le nez en l’air à 20 mètres de là … Je siffle, ils parlent, on s’appelle, on se retourne sans cesse, on s’arrête tous les 10 pas pour regarder derrière nous, à côté de nous, devant nous, observant les arbres et la rive. On s’éloigne du zodiac, on marche lentement, on se dégourdit les jambes enfin, on piétine plutôt en direction de la plus grande rivière, pour voir si les saumons … et là quand on se retourne une nouvelle fois, l’ours est là ! sur la plage ! avec nous ! bon, loin de nous, mais quand-même là … AAAAhhhhrgh !!!

Il sort des fourrés, s’avance sur la plage, nous regarde, monte sur ses pattes arrière pour mieux nous jauger, brun foncé en bas, plus clair sur les épaules, il avance … on se regroupe et on se met en route, Hervé marchant très (trop ?) vite devant, Nathan lentement derrière, on est tous d’accord pour faire du bruit, je siffle de plus belle, mais on n’est pas d’accord sur la vitesse de pas à adopter, ni même de la direction à prendre … Hervé et moi on veut à tout prix éviter de laisser l’ours s’approcher et se positionner entre nous et l’annexe, pendant que Nathan veut qu’on arrête d’avancer et le laisser partir à la seule force de notre bruit.

On est tous les trois d’accord pour ne pas être agressifs, mais le ton qu’on utilise pour se parler est un peu virulent (oui oui, on est un poil stressés), et l’ours peut bien le prendre pour lui, ou plutôt contre lui. Je demande à Hervé de ralentir, à Nathan d’accélérer, à l’ours de reculer, on essaie de se regrouper pour de bon, et finalement l’ours s’arrête, observe, recule, puis fait demi-tour et part en courant dans les petits arbres … Pffffffff … Grizzlant, non, grisant un petit peu, oui, un poil d’adrénaline nous courant sur la peau tout le long de cette courte balade, et surtout j’ai rarement mis pied à terre en étant tant sur mes gardes, tous les élastiques bien tendus, le cœur battant bien au-delà de son rythme habituel. Grand Ouuufff des trois loustics une fois à flot dans l’annexe.

C’est pas ici non plus qu’on se défoulera à terre, en balade, en vélo ou en crapahutant dans les herbes, l’idée de tomber nez à nez sur un ours est trop limitante, et le risque malgré tout important … Et Nathan qui nous dit « mais de quoi t’as peur ? on a 2 sprays !! » et puis « fallait pas venir en Alaska si t’as peur des ours » et puis « comment tu veux voir des ours si tu siffles tout le temps ? » … … … disons que oui, on a envie de voir des ours, mais que bon, de loin c’est bien. De très loin quand on est à pied, et avec plaisir de plus près si on est dans l’annexe, sur l’eau, à 10-15 mètres d’eux … Comme ils n’ont aucun prédateur qui vienne du monde marin, ils n’ont pas peur de ce qui se balade sur l’eau. A terre, c’est une autre histoire, un autre univers.

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