Nous avons parcouru la Patagonie du sud au nord durant l’été austral 2019/2020. Ce document regroupe la préparation que nous avons faite pour notre voilier ainsi que quelques retours d’expériences qui nous semblent utiles.

ISOLATION :
Le froid, l’humidité et la condensation nécessitent de préparer une bonne isolation. Ayant un bateau aluminium, l’isolation de la coque avait déjà été réalisée par le chantier. Nous avons donc travaillé sur 2 points important :

– Les Hublots : Nous avons opté pour la pose de double vitrage en plexi fin. Vous verrez deux exemples en photo ci-dessous. Sur les hublots fixes, nous avons fixé le plexi avec du scotch Tesa afin d’avoir une bonne étanchéité. Ça a bien fonctionné, quasi aucune condensation. Sur les panneaux de pont ouvrants, nous avons fixé un joint sur le pourtour du plexi de manière à pouvoir les retirer afin de ventiler le bateau les jours où il ne pleut pas… assez rare en Patagonie… 😉

la découpe du pléxi à Piriapolis

Une autre solution, que nous avons vu sur plusieurs autres bateaux : du film thermo rétractable. Je pense que c’est la bonne solution pour les hublots fixes par contre impossible par la suite d’ouvrir les panneaux ouvrants.

– Le Sol : très peu de bateaux ont un sol isolé et pourtant l’eau est froide en Patagonie… 9°C en général et dans les Seños abritant un glacier, l’eau peut tomber à 3°C. Les cales deviennent alors un vrai frigo. Pratique pour y stocker les légumes, etc… mais pas cool pour les pieds et la température ambiante. Nous avons donc mis des plaques en liège dans les cabines et des plaques en mousse (style tapis sol pour enfant) dans la descente où il nous arrive souvent de ramener de l’eau de pluie ou de mer. C’est important de vérifier régulièrement l’état du sol dessous, surtout lorsque de l’eau s’invite à l’intérieur.

– Le contenu des coffres et des placards: Même avec une bonne isolation, il y aura de l’eau de condensation dans votre bateau. Il faut donc protéger le contenu des coffres étant sensible à la moisissure. Vos habits, vos chaussures en cuirs, vos duvets, vos livres, vos photos, vos sacs, etc… tout ce qui vous est précieux doit être mis à l’abri. Pour cela, le plus simple est d’utiliser des sac de compactage qui se trouvent assez facilement dans le commerce, ou pour les plus petits livres & objets de simples sacs en plastique zippés :

CHAUFFAGE:
En complément de l’isolation, il faut aussi un bon chauffage. La meilleure solution est sans doute un bon poêle fonctionnant au diesel, style Reflexs, mais pour de nombreux bateaux ne faisant que ‘passer’ par les canaux, cet investissement ne se justifie probablement pas (prix mais aussi l’installation qui nécessite de percer le pont pour la cheminée). La température extérieure en Patagonie (entre Décembre et Avril) varie entre 5 et 15°C. Le matin nous avions en général une température de 11 à 13°C dans le bateau… un peu frisquet !

Nous avons opté pour les deux systèmes suivants avec satisfaction :
– Webasto Evo Air Top 55: Ce chauffage à air pulsé consomme assez peu et est assez efficace. Nous le faisons tourner 2/3 heures le matin et 2/3 heures le soir afin de faire monter/garder la température intérieure à une vingtaine de degrés. Le Webasto est aussi un gros consommateur de courant (3 à 6 Ah) donc bien vérifier les batteries. Lorsque nous ne naviguions pas nous faisions marcher notre groupe électrogène un peu le matin et le soir.

– Aérotherme connecté sur le circuit de refroidissement du moteur:
Si vous faites les canaux dans le sens sud-nord, vous ferez 90% du trajet au moteur, contre vents et courants. Il serait donc bête de ne pas profiter de la chaleur du moteur. Nous avons donc installé un aerotherm (le même système que le chauffage de toute voiture) sur notre système de refroidissement moteur et nous avons raccordé la soufflerie au système déjà en place pour le Webasto. Cela permettait de chauffer durant les journées de nav au moteur le carré et la cabine avant. Nous avions une température constante de 20 à 22°C. Que du bonheur ! et tout cela pour un investissement minime. L’aerotherme est à moins de 300€ et vous pouvez faire vous-même l’installation. J’ai juste fait faire une pièce à Mar del Plata qui permettait de raccorder et d’isoler les deux systèmes de soufflerie.
Ce chauffage additionnel, permanent et gratuit lors des journées de nav, a sans aucun doute participé grandement à minimiser nos problèmes d’humidité et de condensation dans le bateau.

Dans l’ordre: le SEACALORY, la jonction des 2 tuyaux du SEACALORY sur les gaines du Webasto, les 2 vannes en T sur le circuit de refroidissement qui part au chauffe-eau.

 

POSTE DE BARRE PROTÉGÉ:

En Patagonie, il fait froid, Il pleut et vous ferez 90% de votre parcours sud-nord au moteur. Il faut donc essayer de rendre les veilles le moins désagréable possible. Nous avons croisé quelques voiliers à cockpit arrière sans capote de roof et bien je n’aurais pas fait un quart de nuit sur leur bateau… J’ai donc fermé ma capote de descente et installé une tablette qui duplique l’écran de mon plotter de Cockpit. Avec la télécommande de pilote, nous pouvons donc barrer le bateau depuis cet abri. Seul le réglage du génois nous demande de nous déplacer à l’extérieur.

EAU :

L’eau n’est pas du tout un problème en Patagonie…. Elle tombe du ciel tous les jours !

– Récupérateur d’eau de pluie: J’ai retiré mon bimini en toile NV et j’ai fait faire à Ushuaia une bâche en plastique qui prenait appui entre le support du bimini et la capote de roof. Un passe-coque au milieu, branché sur un tuyau qui part directement dans le réservoir avec un petit filtre à impureté (nous avons trouvé des filtres à café/thé en tissus qui faisaient parfaitement l’affaire). A Puerto Eden, j’ai récupéré 300 ltr en 12 heures !

– Bidonnage: Les rivières sont nombreuses et l’eau d’une grande pureté. On a quelques fois bidonné mais l’eau, même si très pure (+/- 10ppm), est souvent colorée donc on l’a fait assez rarement.

– Dessalinisateur: On peut l’utiliser sans problème jusqu’à Ushuaia, mon 60l/h me donnait encore 35l/h dans la descente entre Puerto Deseado et l’ile des Etats avec une eau à 13°C. Cependant dans les canaux, l’eau est souvent trop douce et froide (de 4 à 10°C) avec tous les glaciers/rivières qui s’y jettent. Il vaut mieux éviter de l’utiliser afin de préserver ses membranes. On l’a à nouveau utilisé lors du passage du Golf de Penas. L’eau était à 13°C et la production à 40l/h.

LE MOUILLAGE
Un bon mouillage est essentiel en Patagonie afin de pouvoir dormir sereinement. Même si la plupart des caletas sont très bien protégées, il faut s’assurer que son mouillage principal soit efficace avec un vent de 50kn et plus.

– Mouillage: Ancre Spade S160 (35kg)  avec 90m de chaîne de 10 grade 7 et 40m de câblot.
Lors de l’achat du bateau, j’avais acheté une Spade S120 qui était la taille recommandée pour notre Allures 45, mais elle était trop petite ; sur des sols de mauvaise qualité j’avais chassé plusieurs fois par fort vent lorsque je naviguais en Méditerranée. J’ai donc opté pour la plus grande que mon étrave pouvait accepter et depuis je dors tranquille.
J’ai une ancre secondaire (Fortress Alu + 50m de câblot lesté) mais je ne l’ai jamais utilisé en Patagonie.

 

– Les aussières: Cruciales en Patagonie ! Pour être bien protégé, il faut toujours se mettre le plus près possible de la côte et des arbres qui vous protègent de la furie des éléments. Parfois seuls 5 mètres nous séparent de la terre. Donc le bateau doit être immobilisé. La plupart du temps 2 aussières en plus du mouillage principal suffisent, mais j’en ai souvent utilisé 3 et parfois 4.

Myriades et Fayal au mouillage de Cinco Estrellas

Nous avons donc 4x110m d’aussières de 16mm en polypropylène (donc elles flottent). Nous les avons achetées à Mar del Plata, ils les vendent par rouleaux de 220m. Pour les stocker, nous avons opté pour des rouleaux mais de nombreux voiliers ont des gros sacs et cela fonctionne aussi.

J’ai fabriqué moi-même mes rouleaux et mon système de fixation. Voici quelques photos d’illustration. Il faut un tube PVC épais. Celui que j’avais était trop fin et donc trop fragile. Un mécano du Club Nautic de Mar del Plata m’a finalement fait les mêmes pièces en métal pour 20€.

Pour la fixation des rouleaux, j’ai remplacé les câbles des filières arrières par des fixations mobiles de  tube inox. J’avais utilisé le même principe pour l’installation de panneaux solaires sur les côtés.

– Système d’attache des aussières: Dans 90% des cas, vous trouverez de solides arbres pour fixer vos aussières à terre. Le plus efficace est donc : des sangles que vous passez autour des arbres, et des manilles textiles qui font la liaison avec votre amarre.
Dans quelques cas, il faut se fixer à des rochers, alors j’ai aussi 2x4m de chaine de 8mm avec des manilles galvanisées.

– L’annexe: Il faut parfois être très rapide pour aller porter les aussières à terre afin de sécuriser le bateau. Il faut donc un système de mise à l’eau rapide et facile, une annexe pas trop grosse avec des avirons à poste, afin qu’une seule personne puisse ramer efficacement. Le moteur est souvent inutilisable car la côte est envahie de kelp, la fameuse grande algue locale.

Les lions de mer de l’Isla Leones en admiration devant notre annexe!

– La Serpe: Le kelp est très présent dans les mouillages et il arrive fréquemment d’en remonter des kilos accrochés à l’ancre ; il faut donc une bonne serpe afin de pouvoir les couper au moment de partir. J’ai récupéré la mienne à Ushuaïa d’un bateau qui avait descendu les canaux et qui n’en n’avait donc plus besoin. Je la passerai à mon tour à un autre voilier à Puerto Montt !

Le Gaz

Se fournir en gaz ne représente pas de difficulté particulière. Vous pouvez faire recharger vos bonbonnes de butagaz dans la plupart des grandes étapes. Ils les remplissent au propane et cela ne pose pas de problème. Ma cuisinière ENO fonctionne très bien. Si vous avez des 3 kilos, il faut bien 4 ou 5 bouteilles de réserve. On en avait acheté au Cap Vert pour un prix très concurrentiel, si mes souvenirs sont bons, je crois que c’était l’équivalent de €15 pour une bonbonne pleine (sans échange).
Nous, on s’est fait coincer par le Covid… Lorsque nous sommes arrivés à Puerto Natales, ils venaient de fermer l’usine de gaz à cause de la pandémie, donc impossible de faire recharger nos bobonnes. J’ai dû acheter une de leur bonbonne de 15kg et la raccorder à mon système de gaz.

LE DIESEL

Aucun problème également pour le diesel. Il était d’excellente qualité à tous les endroits où j’ai fait le plein. En terme d’autonomie, en plus de mes deux réservoirs (275l chacun), j’avais 220l en bidon sur les passe-avants.

  • J’ai acheté mes bidons de 20 et 30 litres à Mar del Plata et j’ai fait le plein en bidonnant depuis la Station-Service.
  • Puerto Deseado : J’ai fait un complément en bidonnant depuis une station-service avec l’aide d’un mécanicien local et de sa voiture.
  • Ushuaia : J’étais au Ponton Afasyn. Ils livrent le gasoil sur place et un tuyau va jusqu’au bateau, très pratique.
  • Puerto Natales : Bidonnage avec voiture de location. Ils peuvent aussi livrer au ponton des pêcheurs.
  • Puerto Eden : Un bateau copain déjà sur place nous a commandé un bidon de 200l de Puerto Natales par l’intermédiaire de Aliero, la personne qui vend les tickets de ferry. Très bonne qualité.
  • Puerto Cisnes : Un camion de chez COPEC vient livrer le gasoil au ‘muelle’ commercial. Très pratique mais il faut payer l’utilisation du muelle.

 

CARTOGRAPHIE ET GUIDE NAUTIQUE:

S’il y a une livre indispensable c’est la ‘bible’, à savoir le guide des Italiens : Patagonia & Tierra del Fuego de Mariolina Rolfo et Giorgio Ardrizzi. Il présente un grand nombre de mouillages sur le trajet entre Mar del Plata et Valvidia. Je crois qu’ils en sont à la troisième édition. Il y a quelques erreurs dûes à des évolutions récentes (position de ferme à saumon, informations de contact erronées, etc…) mais dans 99% des cas la présentation des caletas est très bien faite.

Pour la cartographie, j’utilise Navionics. Sur mon plotter B&G et sur une tablette en back-up. Honnêtement, je m’attendais à pire. J’avais lu tellement de blog racontant qu’on ne pouvait absolument pas se fier aux cartes. Bon, il y a beaucoup de caletas non hydrographiées mais dans ce cas le livres des Italiens prend le relais et tout ce passe très bien.
L’option SonarChart de Navionics est bien. Elle donne des sondes correctes. L’exemple ci-dessous montre l’arrivée à la Caleta Cinco Estrellas. A gauche, la carte Navionics standard; à droite la carte avec l’option SonarChart.

Un bon complément à Navionics est le logiciel SAS Planet qui permet de télécharger les images de Google Earth ou Bing Satellite, et de les avoirs en off-line. Au vu de la précision des images satellite, c’est un excellent outil pour préparer sa nav et se rendre mieux compte de l’environnement avant d’arriver dans une caleta. Vous pouvez également importer les points GPS des caletas répertoriées par le guide des Italiens.  J’ai récupéré un fichier commencé par le voilier Sir-Ernst que j’ai un peu complété. Il n’y a pas toutes les mouillages, mais presque. Vous pouvez télécharger ces points ici en différents formats (kmz, gpx et db3) afin de les importer dans SASPlanet ou votre plotter:

Waypoints – Guide Patagonie

SAS Planet tourne sur PC. Si vous voulez avoir cette application dans le cockpit, il faut donc dupliquer votre écran de PC sur votre tablette. Pour cela, je vous conseille SpaceDesk. Cela fonctionne très bien. Le tactile remplace la souris donc vous pouvez continuer à naviguer/zoomer dans SAS Planet. Voici le lien:  https://spacedesk.net/. (il faut donc que vous ayez un WAN (réseau Wifi) sur le bateau car l’échange de données se fait par Wifi).

METEO ET COMMUNICATION :

Je traite ces deux sujets ensemble car ils font principalement appel au même outil : le routeur satellitaire Iridium GO. Je dirais que les 2/3 des bateaux rencontrés ont un abonnement data illimité avec leur Iridium GO et en sont très contents. Avec ce genre d’abonnement, vous avez les données illimitées, sms illimités et 150min de communication vocale par mois pour +/- 130 US$ par mois.

– Pour la Météo: J’utilise mon Iridium GO avec 2 interfaces pour mes fichiers GRIBs: Predictwind Offshore et Weather 4D Routage et Navigation. J’utilise principalement le modèle GFS car il est le plus précis dans cette région. Weather 4D propose, pour moi, la meilleure interface graphique permettant rapidement de comprendre l’évolution du vent tout en incluant d’autres éléments importants comme la pluie (surtout en Patagonie….)
En étant attentifs et prudents, nous ne nous sommes jamais retrouvés avec plus de 35 kn dans les canaux. Le modèle est assez fiable pour voir les fronts arriver et se planquer dans une bonne caleta bien protégée.

Pour la planification de nos passages, j’utilise aussi cet outil: DeepZoom, Il fournit les PilotCharts en ligne.

– Pour la communication:  Là aussi, l’Iridium Go est très pratique. L’abonnement illimité permet à tout l’équipage de rester en communication avec ses proches dans un bassin de navigation où les connections aux réseaux mobiles sont très rares. SMS illimités et e-mails illimités. La connexion est bien sur très lente donc il faut demander à ses contacts de n’envoyer que des messages texte. Pas d’images ni de vidéos.

Lorsque nous sommes près d’un port, nous arrivons à nous connecter à l’internet en achetant une puce 4G locale. Le meilleur réseau dans les canaux est celui d’Entel. $5000 Pesos Chilien (environ 5€) pour du data illimité sur 7 jours.

Nous avons aussi beaucoup utilisé le tracking proposé par PredictWind pour partager nos impressions durant le trajet. Leur système de tracking permet de publier des petits articles, style BLOG

Voilà pour l’instant. Nous publierons bientôt un article sur nos étapes préférées. En attendant vous pouvez voir notre trace sur PredictWind:

7 comments

  1. Si vous n’étiez pas au bord de la mer je dirais que cela me donne le vertige et de toutes manières ceux qui me connaissent savent que je suis sujet au vertige même à bord!
    Quel boulot. Bravo.
    Pendant ce temps nous commençons un prudent déconfinement en attendant la deuxième étape: enfants à l’école et restos ouverts. Heureusement nous sommes dans un endroit idéal pour rester à la maison et nous nous nous sommes même arrangés pour recevoir Les Galland-Traube et Ava qui va très bien. On se partage un partie de jardin pour respecter les distances. AC va mieux après des moments pénibles. Vive la maison à deux étages.
    Bisous les aventuriers.

  2. Hola
    Récits magnifiques et si instructifs.
    Ma bible sera votre blog 🙂
    Bon vent du Pacifique !

  3. Super dossier que tu as réalisé . Bravo à toi . A bientôt j’espère du côté d’Attalens .bises à vous 😘

  4. Merci pour cet article ; passionnant pour tous les détails de préparation et surtout le vécu
    UYUNI transat retour des Bahamas et cinq quarantaines diverses US …..

  5. hello, nous préparons un monocoque aluminium de 53′ pour un depart vers le sud cet été.
    J’ai aussi un catamaran en Polynésie ou j’ai passe les dernieres 2 années.
    Votre site est une bonne source d’informations pour nos prochaines navigations.
    Si vous avez besoin de conseils pour la Polynésie:
    Harry

  6. Bonjour
    Merci pour ces informations très claires et utiles, nous serons dans les canaux l’hiver prochain, actuellement en Polynésie, nous ne savons pas si la bible Patagonie et terre de feu est trouvable ici… et nous ne sommes pas complètement bilingue, penses-tu que des navigateurs l’auraient traduit en pdf ?

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