On quitte le Prince William Sound
Lundi 21 aout 2023

Après quasi un mois de balades entre terre et mer lacustre, entre glaciers bleu blanc gris et prairies hérissées de sapins, entre forêt primaire et rochers dorés, à pêcher le saumon le halibut le cod et le saumon encore, coho et pink principalement, king une fois, sockeye reçus de pêcheurs et chum dans nos “erreurs de débutants”, eh b’en on s’en va. Par la petite porte de Cordova.

Cordova, c’est une mini ville de pêcheurs, accessible uniquement par bateau et par avion, donc elle est loin du tourisme. L’industrie qui fait vivre cette bourgade est celle de la pêche. Les chalutiers viennent vider et aspirer leurs calles au pied directement des usines perchées au-dessus de l’eau. Quand j’ai fait le tour de la rue principale du coin, j’ai jeté un œil à l’intérieur du pub et des cafés, j’avais l’impression d’un temps complètement suspendu, arrêté, où les vieux loups de mer se tenaient bien au comptoir devant leur bock de bière, le temps ne semblait pas être à la rencontre ni aux partages, mais plutôt une simple tentative de ne pas être tout seul, … un peu étrange. A Cordova, il y a 3 ans ils ont pris 15 mètres de neige sur les toits et les bateaux en 3 semaines … c’est dire que le climat là-bas est à prendre au sérieux. C’est une des bonnes raisons pour lesquelles on ressort (enfin ?) du PWS.

La « petite porte de Cordova », en fait c’est un raccourci par le canal Strawberry qui nous fait naviguer en eaux troubles (peu de fond et bancs de sables nomades) mais qui nous permet de gagner 40 miles nautiques (pas loin de 80 km, c’est pas rien quand on avance à 10 km/h).

Eaux troubles mais on a la trace d’un bateau passé devant quelques temps avant nous, donc on sait où aller. Heureusement, parce qu’avancer dans 4 mètres d’eau sans savoir ce qu’il y a sous la surface, ni le voir, c’est plutôt inquiétant.

On a pris la porte avec la marée haute de 17h hier soir, et depuis on navigue sur une mer plutôt douce avec un vent plutôt calme, on a mis le moteur en route il y a 4 heures, donc ça va pour le moment, c’est mou mais ça avance, principalement pour l’instant à la voile.
C’est bien assez remuant pour nos équilibres et nos estomacs qui n’ont plus l’habitude de bouger sans cesse, l’eau était tellement plate dans le PWS qu’il n’était pas possible d’être sujet au mal de mer. Là on doit se réamariner …

Destination prévue : Elfin Cove, à ± 300 n miles. Ça se situe à peu près à l’entrée de Glacier Bay, dans la région de l’Inside Passage.
Charly et Réjane de Longtemps sur l’Ô sont juste derrière nous, on est partis en même temps après avoir trinqué ensemble à la beauté de cette région du monde.

Du coup les racontages des derniers jours dans le PWS, b’en ça sera quand je me sentirai mieux, j’ai pas trop envie d’avoir le nez sur mon écran alors que ça roule ça roule ça roule …

En mer vers …
Mercredi 23 aout 2023 

La météo de ces jours est toute légère … horizon gris léger, mer légèrement agitée, vent léger permettant quelques jolies heures sous Code, puis légèrement insuffisant pour nous obliger à repasser au moteur, ce qui permet à une douce et légère chaleur de régner dans le bateau.

Pas de pluie, mais un plafond sérieusement gris, qui a fini par se déchirer en fin de matinée, et le spectacle magnifique a pu commencer : défilé de montagnes aux sommets enneigés, falaises escarpées, pentes douces généreusement poudrées de blanc, glaciers dévalant les pentes depuis tout là-haut jusqu’au bord de l’eau … c’est splendide, de toute beauté !
Le tout sur un ciel de plus en plus bleu, et donc un plan d’eau bleu lui-aussi, une journée d’été magique …

On a pu observer quelques baleines sauter et rouler au loin, éclaboussant tout autour d’elles en retombant, elles avaient l’air joyeuses. Et puis tout à coup, route à collision avec une maman et son petit, elles nous sont passées juste sous l’étrave, avant de reprendre leur souffle et de sonder, nous offrant une vue sublime sur leur dos et leur caudale.

Fin de journée dans la lumière dorée, les montagnes se parent de teintes toutes douces avant de disparaître.

Notre ETA (Estimated Time of Arrival) pour arriver à Elfin Cove est établi à 2h du mat tout à l’heure, du coup on décide de changer de route pour arriver de jour dans un endroit sympa. On se dirige vers les White Sulfur Springs, sources d’eau chaude. Chouette, un bain chaud !!! Je n’imagine rien pour ne pas être déçue, mais je dois dire que la perspective d’une baignoire chaude et remplie me réjouit !!! On croise les doigts, haha.
Ces sources sont situées sur la côte Ouest de Chicagof Island, entre Elfin Cove et Sitka. Encore 35 n miles et on y sera. Comme ça on profite du temp calme pour visiter la côte extérieure de cette île, la plus exposée aux courants violents du Pacifique. On se baladera le long des côtes intérieures la saison prochaine, quand on ira se perdre dans les méandres de l’Inside Passage.

En se rapprochant de Chicagof Island, qui marque l’entrée pour l’Inside Passage et Glacier Bay, les instruments signalent de plus en plus de bateaux. A regarder leur AIS un par un, ils démontrent bien que nous nous rapprochons d’une zone très touristique, les bateaux de passagers de 200 à 350 m de long ont remplacé les bateaux de pêche de 30-40 mètres …

24 aout 2023
L’équipage en eaux chaudes !

Après une troisième nuit en mer, on arrive en début de matinée sur une eau tranquille à l’entrée d’un chenal tout étroit, entre kelp brun rouge, roches grises noires blanches et brunes, algues jaunes, sapins vert gris, marée basse, peu d’eau sous la coque.

On avance à faible vitesse, slalomant entre les cailloux et les bancs de kelp, ces longues algues à longues feuilles qui flottent comme une belle chevelure dans l’eau calme, algues qui ont des petits flotteurs comme des fleurs. On est prudents, le prop est toujours hs, on aimerait éviter de frotter la coque contre plus dure qu’elle …

Le mouillage vers lequel on se dirige s’appelle Mirror Harbour, lieu parfait pour se demander où est le haut, où est le bas, et chercher à quelle réalité se fier, puisque l’eau renvoie une parfaite image de tout ce qui est au-dessus de sa surface. L’absence de vent nous fait miroiter un havre tranquille où récupérer et nous réaligner après ces trois jours en mer.

Le plan d’eau ne permet pas un mouillage sur ancre simple, pas assez de « room to swing » alors on porte une aussière à terre, histoire d’être tranquille. En plus, ça nous permet de jouer les pontons d’accueil pour Longtemps sur L’Ô qui nous rejoindra ce soir, et d’être à deux côte à côte dans un espace somme toute assez restreint.

Au fond de la baie, un sentier -que dis-je, un chemin aménagé de bois, de cailloux, de petits ponts, de marches, un vrai boulevard- nous mène dans la forêt entre nénuphars et mousses variées, buissons à baies (sans baies, on arrive trop tard) et arbustes bien feuillus. Quel bien ça fait de marcher et de se dégourdir les jambes après cette nav ! On reprend possession de nos pieds, de chaque articulation, on peut se redresser, s’allonger, s’étirer dans tous les sens, on peut faire plus que trois pas en respirant un air frais, qui sent bon la végétation, bonheur total ! D’autant plus qu’au bout de la balade, (20-25 minutes, c’est pas mal pour une remise en route) on a la promesse d’un plouf en eau chaude ! … on n’a aucune idée de ce à quoi s’attendre, et en arrivant à proximité, on est tout déçus d’entendre des voix – mince, on ne sera pas tout seuls … tu crois qu’ils sont nombreux ? et dans quel état ? est-ce qu’ils se baignent tout nus ? j’espère pas … – alors on arrive de manière un peu sonore nous aussi, pour avertir que eux non plus ne seront plus seuls sous peu.

Deux cabanes en rondins de bois, entièrement fermées (si si, il y a des fenêtres et des portes) et deux abris sont installés dans la pente douce, sous les arbres, face à la baie protégée, dans laquelle deux chalutiers sont ancrés. Sur la grève, deux canoës. Entre la grève et la cabane, des rondins de bois, des bassins de pierre naturels et un bassin aménagé (troncs d’arbres, branches et roches) dans lequel barbottent quatre jeunes américains sur leur matelas gonflable rose et vert fluo.

Une cabane abrite une grande pièce dans laquelle se trouvent six couchages, de quoi cuisiner et passer un chouette moment abrité. Un abri pour le bois, à couper pour le feu, un abri pipi au fond du bois.

L’autre cabane, la plus proche de la rive, s’ouvre sur un bassin aménagé, fait de dalles pierres et de bois, toiture à deux pans dont un tout transparent, bassines en bois pour aller chercher de l’eau froide dans la mer, claquettes japonaises, fontaine d’eau chaude et robinet d’eau chaude aussi. Les lattes de bois des murs sont gravées des noms de tous les équipages qui passent par ici, pêcheurs d’un jour, pêcheurs de toujours, touristes, natifs, il semble que ce lieu soit réputé. La façade qui donne sur la mer est une immense fenêtre qui s’ouvre entièrement et permet à la bruine, au vent, au soleil d’entrer dans le bassin. C’est donc White Sulfur Springs. Et oui, ça sent cette délicate odeur d’œuf un peu daté, odeur propre au souffre … On adore !

On y retourne le 25 aussi pour un bain le matin, mais oh déception, il y a déjà 10 personnes qui profitent de ce joli lieu, et de cette eau bien agréable. Dans le bassin extérieur, à 39 degrés, les chiens savourent aussi les bienfaits de l’eau chaude. Du coup, on se rabat plutôt sur le bain intérieur, à 42 degrés … c’est chaud !!

Un peu frustrés de cette expérience matinale bien moins zen que la veille, on décide d’y retourner pour l’apéro. Sur le coup des 18h, Longtemps et Myriades rechaussent leurs baskets (ou plutôt les bottes), et on repart avec maillots de bain, serviette, paquet de chips et un p’tit coup à boire, les lampes de poche (au cas où … même si on a décidé de rentrer avant que le soleil ne se couche !) et on se refait la balade dans les deux sens pour savourer la fin de journée au spa local. On barbote face au soleil bien au chaud dans cette grande baignoire, on se rafraîchit un peu sur les matelas gonflables, on replouf pour rehausser le thermostat, on discute avec un pêcheur local qui débarque avec sa salopette étanche (pieds inclus), son caleçon long, ses trois pulls, qui enlève le tout et qui se met à pelos dans l’eau sans gêne (il ressortira plus tard rouge écrevisse, tout en continuant de discuter, toujours à poil, et réenfilera ses vêtements sans se sécher), bref, on savoure et on ne voit pas le temps passer. Ce qui fait qu’on rentre de nuit finalement, en parlant haut et fort, lampes frontales allumées, lampe torche devant et derrière pour maintenir les ursidés à distance (s’il y en avait) …

 

Samedi 26 aout 2023
On glisse sur les canaux

Samedi 26 aout, 25 printemps de notre Nathan, Joyeux Anniversaire notre Ange Bleu Précieux !

Samedi matin, brume au dehors, bain au cul du bateau dans une eau plutôt agréable, sans doute proche de 15-16 degrés. On devine que le soleil pourrait percer ces nuées cotonneuses.

On sort de notre crique super protégée et on s’engage pour quelques miles en eaux libres, petite houle désagréable, avant de retrouver le calme d’une glisse douce sur des eaux plates. Le moteur est engagé à faible régime jusqu’à l’heure du déjeuner. On navigue de petites heures entre deux mondes (terre-mer, soleil-brume, minéral-végétal), c’est d’une douceur incroyable, et d’une poésie forte et tranquille.

Les éléments se marient se mélangent se fondent et se séparent avec une évidence sereine, ou une évidente sérénité (hormis le bruit de la perceuse qu’Hervé a en mains pour bricoler en force dans ce moment si délicat), les nuages de brume posés sur l’eau se lèvent et s’évaporent en révélant ilots sapineux, roches brunes et dorées sur l’eau grise ; et le ciel bleu au-dessus de la scène apporte une lumière magnifique au tableau.

On avance en lacets entre les petites terres flottantes, parfois quelques loutres jouent dans les nappes de kelp, un peu plus loin c’est deux lions de mer qui se baladent, un moment plus tard une baleine nous fait sursauter en venant respirer à 5 mètres du bateau (on l’avait aperçue quelques minutes auparavant, et perdu sa trace).

Après le dèj, la brume nous a résolument quittés, ou plutôt, elle est restée coincée par les ilets du côté mer, alors qu’on navigue sur des petits chenaux entre les ilots et la grande île de Chicagof, donc au soleil, sans brume, avec juste quelques 10 nœuds de vent qui nous permettent d’avancer tranquillement sous génois. On essaie de pêcher du saumon, puisqu’on n’a plus de poisson au frigo … Hier Hervé a pêché un Lingcod, sorte de cabillaud, mais n’étant pas certain du poisson (qu’il apparentait à un rockfish) il l’a relâché …

On ne croise ni ne voit personne, aucun bateau ne pêche dans ce coin. Trop loin des villes et villages peut-être ? en tout cas, ça nous ravit de pouvoir savourer cette nature brute et sauvage tout seuls 😉 Je dis ça, et à l’instant un bateau de pêche sportive (pêche pour le plaisir, pas pêche commerciale, donc petit bateau avec gros moteurs, trois papis barbus à bord, cachés sous leur chapeau et derrière leurs lunettes de soleil, gilets de sauvetage bien arrimés par-dessus leur pull) nous passe à côté, ralentit, nous prend en photo, et puis vient nous aborder pour nous demander si on veut des photos de Myriades sous voile, et d’où on vient … on échange pendant quelques minutes, et puis gentiment ils nous demandent si on veut un peu de poisson, ils ont plein de black rockfish … On leur explique qu’on tente d’en pêcher par nous-mêmes, et je leur dis qu’Hervé a relâché hier mon poisson favori (le cod), et qu’on a tout l’après-midi pour parvenir à nos fins … En rigolant, ils nous disent que c’est aussi le poisson favori de leur capitaine, et qu’il est ravi de nous en offrir, ils en ont pêché quelques-uns, bien assez pour eux. Alors on dit « d’accord pour un morceau » et ils nous font passer un poisson entier de 70 cm … petit morceau !! Chouette alors, un bon poisson au frigo ! On continue de trainer pour ramener un saumon, mais on va un peu trop vite (3.8 kn alors qu’il faudrait être proche de 2 nœuds) ; qui ne tente rien n’a rien, alors tant qu’on ne bifurque pas pour entrer dans notre fjord du soir, on continue !

On vise Sitka le 29, car le vent fort arrive le 30, et d’ici-là on continue dans ce labyrinthe protégé où aujourd’hui il fait bon faire la sieste en short au soleil sur le pont (et ½ heure plus tard, on remet chaussettes, pulls et veste …).

Dimanche 27 aout
Brume en mer et soleil dans les canaux

On a navigué ce matin dans une région qui s’appelle MYRIAD ISLANDS, petit territoire peuplé d’iles d’ilets d’ilots de cailloux de rochers plus ou moins im-é-mergés. Les fonds ne sont pas profonds, mais la mer est calme car pas de vent. On est protégés de la houle extérieure par ce chapelet de perles de roches, certaines chapeautées de sapins, d’autres têtes nues. La brume les dévoile une à une, au rythme de notre avancée sur ce voile gris perle, puis les dissimule à nouveau, on avance dans un environnement fantomatique et cotonneux, tout léger, aérien, délicat. La transparence de la brume laisse parfois entrevoir une nuance de bleu qui nous donne l’espoir de voir le soleil un peu plus tard …

En se rapprochant à nouveau de la terre pour s’enfiler dans le chenal entre Partofshikof Island et Baranof Island, le voile gris laiteux se déchire, et un gros nuage bleu vient se poser sur le paysage, accompagné par un soleil brillant de toute sa force. On navigue par vent presque arrière au génois, et on remonte le canal en empannages successifs pour rester dans la zone navigable. Fin de journée au soleil à notre mouillage du soir, avec bain prolongé (je n’en suis pas encore à une minute, mais plutôt à plusieurs fois 20 secondes) tellement l’air est doux.

 

Lundi 28 sous le soleil

On a bullé toute la journée, il faut dire que la soirée Jeux avec Réjane et Charly, entremêlage d’apéro à bord d’un motor-yacht français qui passait par là, de galette-saucisse au bbq, défoulage au son de la musique sur les bancs du cockpit sous la lune, et jeux (Séquence, et puis le Tarot Africain) s’est un peu prolongée, pour notre plus grand plaisir. Du coup, après le yoga, le bain du matin et le brunch, on a simplement profité du soleil sur le pont, et d’une balade dans la clairière. Pas d’ours sur cette mini île, un aigle, des corbeaux, et c’est tout. Oui, quelques poissons dans l’eau, mais des petits. Un vrai jour à profiter simplement de l’instant, dans le calme absolu de cette crique super protégée de Magoun Island.

Mardi 29 aout, on arrive à Sitka

On se met en route de bon matin, pour arriver à Sitka avant le mauvais temps, et avoir le temps d’installer le bateau à quai avant que la pluie ne nous tombe dessus. Et puis le propulseur est toujours en panne, donc on préfère arriver au port par des petits airs. En l’occurrence, les airs on en n’a pas vu la couleur.

En se rapprochant, on voit bien que la région est beaucoup plus habitée que tout ce qu’on a visité jusqu’à maintenant (hormis Kodiak et Cordova bien sûr). Sur les rivages des ilets, des pontons de bois sur pilotis mènent à des maisons de bois, cachées dans les bois.

Sur l’île principale, de loin on ne distingue pas les maisons mais les silhouettes massives et blanches des bateaux de croisière qui circulent entre Seattle, Vancouver et Juneau, pour emmener des hordes de touristes visiter l’Inside Passage, voir les baleines, les ours, et découvrir la culture alaskienne dans les musées et autres lieux d’ « héritage natif ».

Aujourd’hui à Sitka, 3 bateaux déversent leur flot d’humains habillés pour la pluie, soit un total de 5’323 personnes si les bateaux sont complets. Demain, c’est 7’184 autres personnes qui vont débarquer, et après-demain ils seront 7’378 (x2) soit 14’756 pieds venus d’ailleurs pour fouler cette terre inconnue.

Un certain nombre de musées et de lieux de cultes sont dispos par ici, de même que de nombreuses possibilités de treks et balades engagées dans les montagnes environnantes. Plus évidemment toutes les excursions de pêche et d’observation de la faune.

Et puis il y a ces fameuses « maisons d’héritage » où des artisans locaux travaillent à mettre en valeur leur culture et le savoir-faire ancestraux. Ça passe par de la gravure, du dessin, de la peinture, des danses, des chants. C’est chouette que ces traditions restent vivantes et soient montrées, mais ça a un côté « parc d’attraction » qui me dérange sérieusement. En même temps, par rapport à l’histoire alaskienne, le temps de la reconnaissance de toutes les horreurs commises est relativement récent, et les tribus sont encore très actives à se réapproprier tout ce dont elles ont été spoliées (langue native interdite, costumes, rites, célébrations, objets de culte et de troc, territoires, …) et à les refaire vivre pour pouvoir les transmettre à leurs enfants, pour que la mémoire demeure, mais je n’aime pas le côté « voyeur » de cette manière de mettre leur culture en lumière.

On profitera quand-même des jours de pluie pour visiter tout ça, parce qu’il n’y a pas que pour faire la lessive qu’on vient à terre, haha ! Ah oui, il y a des restaurants aussi … miam ! et une boulangerie qui propose des croissants français … mmmmmh, on a va aller voir ça demain !

Vendredi 1er septembre … déjà …
Au fond de Redoubt Bay, à 12 milles au sud-est de Sitka

Hier on est allé rendre visite aux Totems dans le parc national, et on a pu découvrir leur histoire, signification, construction en suivant l’exposé d’une jeune Ranger native de Sitka.

Troncs de bois de +5m de haut, bien verticaux et rectilignes, ces totems sont composés de motifs graphiques très définis, formes en U, ovoïdes, lignes fines ou épaisses, espaces en positif et en négatif, le tout représentant des animaux, des humains, des végétaux, sculptés les uns au-dessus des autres, dans un entrelac très représentatif. Souvent un ours ou un aigle à hauteur de notre torse, puis un second personnage ou élément de visage, puis un troisième et quatrième « étage », le tout chapeauté par un esprit ou représentation d’un personnage protecteur.

Les totems remplissent des fonctions différentes, et sont en quelque sorte le drapeau ou les armoiries d’une personne ou d’une communauté. Ils ont parfois un seul animal en tête de mât (totem mortuaire), ou sont représentatifs d’un panneau « indicateur » du territoire d’un clan, ou sont encore gravés comme des « shaming totem » pour relater la mauvaise action d’une personne (il en existe un à l’effigie de l’ancien président des USA, allez regarder sur le net).

Quatre animaux principaux peuvent être représentés sur ces totems, aigle, corbeau, ours ou loup. Qui sont synonymes d’appartenance à une Grande Famille.

Au sein de la tribu des Tlingits, chacun appartient à une Grande Famille : soit les Corbeaux soit les Aigles. Au sein de ces deux branches, un certain nombre de sous-clans, de maisons, de sous-maisons, etc.. Un Aigle ne peut jamais épouser un autre Aigle, de même que les Corbeaux ne se marient pas entre eux. Toute la société est fondée sur des valeurs très altruistes, où on fait beaucoup pour les autres, et les choses qu’on fait pour soi ont peu de valeur. La puissance d’une famille ne se montrait pas par la force et les armes, mais par le don : les potlatchs – cérémonies festives – étaient (sont encore) organisées pour offrir aux autres des parures, de la nourriture (fruits de la pêche, chasse, et cueillette), des objets décoratifs, des œuvres variées utiles pour le quotidien ou pour les rites.

Un totem était fabriqué par deux personnes : son graveur et son peintre. Le bois était principalement du Alaska Cedar (Chamaecyparis nootkatensis). Pour les couleurs : trois teintes de base, le noir, le rouge et le bleu, issus de pigments minéraux dilués et fixés avec des œufs de saumon mâchés et mélangés à la salive humaine … Les pinceaux eux, étaient faits de bois ou d’os, et poils de porc-épic ou autres animaux.

On a quitté Sitka ce matin après un tour mille fois trop court au musée super intéressant de Sheldon Jackson. Là c’est sûr, on reviendra pour y passer beaucoup plus de temps et discuter avec les conservatrices.

J’aurais pu y rester des heures tellement l’exposition y est riche et complète. Elle relate les arts natifs locaux, la vie des tribus alaskiennes, et celle de l’histoire des Tlingits principalement, puisque Sitka est au milieu de leur territoire. L’expo regorge de trésors, pièces ramenées des différents villages par Sheldon Jackson lors de ses innombrables voyages dans les terres entre 1888 et 1898.

Après l’arrivée des Russes, il a été missionné par l’Etat pour scolariser et apporter la religion à tous les enfants d’ici, éradiquant en même temps les langues et les dialectes. Il était néanmoins convaincu qu’il fallait à tout prix sauver les éléments historiques, sociétaux et culturels relatifs à ces nombreuses tribus … un peu plein de contradictions cet homme-là …  On y trouve des objets racontant la vie de tous les jours, et ceux qui sont plus propres aux rituels et aux arts ; on peut observer l’évolution de leur confection selon les influences de plus en plus présentes de marchands venus d’ailleurs, les Russes ayant commencé à faire du troc (fourrures de loutres contre boutons de nacre, perles de verre, tissus etc..). Avant l’arrivée de ces matériaux exotiques, la base de leurs réalisations était uniquement issue de deux sources : les animaux et les plantes.

Peau de poisson, intestins de phoques, peau d’animaux à poils, cornes, os, mandibules de crabes, mâchoires d’écureuils, tout était récupéré pour être transformé en habit, en sac, en collier, en cuillère, en couteau, en parure … Racines, tiges, tronc, écorce, les parties aériennes et souterraines des plantes elles aussi étaient utilisées pour le tissage d’étoffe, la confection de paniers, la construction de caisses de stockage, coffres et autres. Le tout réalisé avec une créativité fabuleuse et des moyens extrêmement limités. Le temps, par contre, était une ressource infinie …

En discutant avec les médiatrices du musée, on apprend que cela fait seulement 3 ans que les USA ont reconnu les différentes langues alaskiennes, et que cela fait donc seulement trois ans que la langue native des Tlingits vivants encore ici est enseignée à l’école. On apprend aussi que la société est organisée de manière matriarcale et d’appartenance à des castes ; les anciennes doivent toujours être consultées dans tout projet et pour beaucoup d’actions quotidiennes. Elles ont le pouvoir de faire et défaire la vie de chacun, valider leur légitimité ou au contraire leur retirer certaines marques de prestiges. C’est encore le cas aujourd’hui, et toute leur difficulté réside dans l’art de tricoter les valeurs et traditions ancestrales avec les besoins d’évolution, le monde du business et les technologies actuelles.

Et puis on y rencontre David John Angaiak (www.angaiakfineart.com) un artiste alaskien venu animer des ateliers dans le musée pour faire vivre ses traditions et connaître son art : il réalise des masques faciaux et des décorations de main pour les danses traditionnelles, faits de bois et de plumes.

Il nous parle de ces danses, de l’importance de la transmission, et du rôle initiatique des danses, ou rites de passages, marquant l’évolution d’un enfant vers l’âge adulte, qui permettent de transmettre les valeurs de la société : respect, altruisme, conscience que l’humain fait partie du tout, et animisme. Entre autres …

Il nous parle aussi de la vie de tous les jours des peuples alaskiens, qui ont pour beaucoup encore des modes de vie liés simplement à la notion de survie : très peu de magasins dans les territoires éloignés des centres principaux, donc toutes les activités des alaskiens sont tournée vers la récolte et la conservation des récoltes (graines, baies, poissons, chasse, etc..). Il nous décrit simplement la vie quotidienne de ses parents et de sa famille … c’est donc tout à fait actuel.

Rencontres passionnantes … !!!

Donc on a quitté Sitka, on est au fond de Redoubt Bay où une cascade sort du lac. Il y a un barrage à saumons à la sortie du lac, juste avant la cascade. On arrive à marée haute, sous les nuages, et on attend patiemment la marée basse pour espérer voir des ours … peine perdue. On a tenté une balade à terre, près du lac, mais les sous-bois sont trop touffus pour se sentir à l’aise, surtout après avoir lu tous les panneaux nous rendant attentifs à la présence d’une maman ours et ses petits …. Retour au bateau. Pluie, crachin, ciel bas et gris, la nuit tombe. Et sur le coup des 21h, trois ours se baladent sur la grève ! Z’auraient pas pu pointer le bout de leur truffe plutôt ceux-là ? espérons qu’ils seront encore visibles demain matin !!!

2 septembre
C’est l’heure du bain à Goddard Springs !

On quitte notre cascade en début de matinée, sans avoir revu les ours, après un petit plouf matinal à 14 degrés.

Hervé est allé snagger les saumons pour mettre en pratique ce qu’il connait en théorie du snagging, et a réussi à choper 3 saumons. Le snagging, c’est en fait une technique de pêche qui consiste à lancer ton hameçon au milieu des poissons (puisqu’ils sont tous là, en banc, entassés les uns à côté des autres), et à ramener tout de suite la ligne à toi. Du coup, ce n’est pas le poisson qui mord à l’hameçon, mais l’hameçon qui mord au poisson … puisque tu les attrapes par le dos, la queue, la nageoire, la joue, tout dépend où l’hameçon se plante dans le poisson … La raison pour laquelle le snagging est permis (si tant est qu’on veuille vraiment attraper un saumon dans ces conditions), c’est que les saumons ne mangent plus lorsqu’ils sont aux embouchures des rivières, puisqu’ils sont en mode « reproduction ». Donc ils ne seront pas intéressés par un leurre à croquer.

Donc 3 snaggés, 3 relâchés.

On quitte la douche de la cascade pour aller se plonger dans la baignoire de Goddard Springs. 8 n miles de navigation au moteur (eh oui, encore au moteur) au milieu des petits ilots, marée basse, algues jaunes, rochers gris et bruns, sapins vert sapin, ciel gris et plutôt bas, on arrive au mouillage sous la pluie (eh oui, encore de la pluie). Et on trouve un bel éclair bleu roi dans la crique, flottant sur l’eau : LONGTEMPS SUR L’Ô, qui est arrivé hier.

On va se baigner au chaud tous les deux en milieu de journée, et on y retourne tous les quatre pour l’apéro. Ces bains ci ont deux robinets qui permettent de décider de la température du bain, c’est assez agréable. La cuve est en inox, habillée de planches de bois, la cabane est bien plus petite que les bains de White Sulfur Springs, et l’eau est moins sulfureuse. Il y a une cabane au bord de l’eau, et une cabane plus haut, sous les arbres. On choisit le bord de l’eau, c’est plus ouvert.

Fin de journée à parler des projets des uns et des autres dans l’eau chaude, en prenant un bain à quatre, petit verre de vin et chips au grand air, c’est super agréable. Puis retour au bateau juste avant la tombée de la nuit, pour une bonne platée de pâtes et une soirée jeux -eh oui, encore des jeux 😉 Avec Charly et Réjane, c’est toujours sympa et très vivant- Longtemps sur l’Ô va remettre cap au nord demain, puisqu’ils vont aller hiverner leur bateau à Skagway et retourner travailler en Polynésie jusqu’à la prochaine saison alaskienne, et nous on va mettre cap au sud, direction Ketchikan par les canaux (dès qu’on pourra à nouveau être dans les canaux). C’est donc notre dernière soirée tous les quatre pour cette saison, en espérant très fort qu’on aura le plaisir de les retrouver l’année prochaine !

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