Samedi 9 septembre 2023

Passage de frontière USA – Canada

Les passages de frontière, ici, ça ne rigole pas. On n’est pas en Europe, avec la libre circulation des personnes blablabla … Déjà, je me suis fait engueuler et menacer d’une amende de 5’000 dollars par le douanier américain que j’ai appelé pour lui dire qu’on quittait les USA, parce que nous n’avions pas déclaré notre arrivée au port de Ketchikan … pourtant, Ketchikan c’est bien aux US, et Sitka aussi … donc on n’est pas sorti du territoire de manière illégale … Big Brother is watching you !!! ils veulent tout savoir. Donc « oui monsieur le douanier, j’ai bien compris, dès que nous entrons dans un nouveau port nous vous appellerons immédiatement » et le douanier de me rétorquer « je note dans votre dossier que je vous ai donné un avertissement ! » . Okay … !

Donc partis ce matin à 7h, comme annoncé aux douanes hier, on a laissé le bateau avancer au moteur toute la journée, sur une mer plate, avec 4-5 nœuds de vent, donc pas assez pour que les voiles soient utiles .. Juste à la frontière, on appelle le service des douanes canadiennes pour faire nos formalités d’entrée par téléphone.

Le préposé de service n’entre pas en matière, et nous demande de faire les démarches dans la prochaine marina où nous nous arrêterons … mince, ce n’est pas dans les plans, et ça correspond pas aux infos échangées avec les bateaux copains …

Je rappelle trois heures plus tard, en espérant tomber sur un autre fonctionnaire, ce qui est le cas. Une femme nous déroule le processus (identification du bateau, des passagers, du capitaine, etc.., route passée et route à venir avec dates d’entrée et de sortie du territoire), on se dit « ca y’est c’est bon, on va avoir notre numéro de dossier et pas besoin d’aller à Prince Rupert ! » et non, paf !!! elle nous dit que nous devons nous rendre à la marina de Prince Rupert, et que les douaniers viendront nous voir sur le bateau pour finaliser le dossier … mince, c’est pas dans les plans, et ça correspond pas non plus aux infos échangées avec les bateaux copains … ! Elle nous fixe carrément un rdvs à 15h demain, et nous demande de la rappeler si on prévoit d’arriver avant ou après, pour qu’elle puisse en informer ses collègues … On en saura plus demain !

M alors, on voulait zapper cette petite ville pour s’engager rapidement dans le Grenville Channel … arrêt obligatoire demain donc, et on verra « à l’abri » si la force du vent jouera les octaves du haut ou les octaves du bas …

On s’arrête à Dundas Island pour la fin de journée et à la nuit, après avoir attrapé un petit saumon coho qui a filé au frigo, en attendant d’être transformé en Gravelax et autre délicieux repas. 30 n miles demain pour aller dire bonjour au douanier, et en attendant, c’est vous qu’on embrasse du fond du cœur.

Dimanche 10 septembre

Rendez-vous avec les douanes

On part tôt en ce dimanche matin pour arriver à Prince Rupert avant le vent … la météo nous annonce entre 20 et 40 nœuds, selon le modèle regardé, et on se balade en ce moment dans une géographie qui représente pas mal de couloirs d’accélération possibles. Le port de Prince Rupert est en bordure de baie (au fond de laquelle coule une rivière) et l’arrivée pourrait y être rock’n’roll sans propulseur … on préfère éviter de faire mal aux bateaux (quoi que par ici, c’est peut-être bien Myriades qui aurait le plus mal cette fois, vu les belles coques acier des pêchoux autour de nous …)

On navigue encore et encore dans ces dédales de petites iles, touffes végétales à fleur d’eau, grandes étendues sapineuses, tout dépend de la surface de rochers émergeant de la mer. Pas d’air (mais c’est pas nouveau, soit y’a rien, soit y’a trop), soleil pas loin, le bain était encore à 11 degrés ce matin.  On emprunte un passage très balisé, car peu de profondeur sous la coque, et beaucoup de cailloux tout autour. Les quelques bateaux locaux autour de nous respectent scrupuleusement le balisage eux-aussi.

Arrivée à Prince Rupert. Sur la droite, deux énormes grues de déchargement et leur lot de containers attendent les cargos à dé.charger. Devant nous, d’aussi énormes silos regorgent de … grains ? copeaux de bois ? céréales ? on n’a pas la réponse pour le moment. Plus loin sur la rive, le port public et la marina à laquelle les douaniers nous ont fixé rdvs.

Ville-village (1200 habitants) au bord de l’eau et un peu plus haut sur le plateau (50-100 m au-dessus du niveau de la mer), petites bicoques de bois plus ou moins colorées, deux super-marchés, un hôtel, quelques musées plus ou moins attractifs (on les zappe pour cette fois) des boutiques « attrape-touriste » le long des quais des paquebots, parce que oui, ici aussi, entre les silos et la marina (on le découvre le lendemain) viennent se parquer ces immeubles flottants qui éjectent et ravalent leur flot de visiteurs, lesquels s’empressent de pousser toutes les portes possibles où un « welcome » ou « open » est affiché avec des lumières  qui clignotent de toutes les couleurs, là où ils peuvent acheter des souvenirs de l’Inside Passage « made in China » et se prendre en photo devant n’importe quel pot de fleur ou bateau pêcheur.

Donc on rappelle les douaniers puisqu’on arrive avant l’heure prévue … oui oui, on fait exACTEment comme ils ont dit « si vous arrivez avant ou après 15, rappelez-nous (à Toronto), pour qu’on coordonne avec nos collègues (à Prince-Rupert)». On tombe évidemment sur une autre personne que hier, mais on est dimanche, z’ont pas l’air stressés au bout de la ligne, elle appelle sa collègue (d’hier) pour avoir plus d’infos, puisque tout n’a pas été consigné dans notre dossier … donc on a en ligne la douanière qui cause à sa collègue, on trilogue et finalement, toutes les deux, elles nous disent « bougez pas, restez au bateau, d’ici 30-40 minutes nos collègues vont venir vous voir ».

Le temps d’un lunch vite fait (le nôtre), les collègues arrivent. Deux femmes, deux profils totalement opposés. Une jeune, une plus âgée. Une bien en chairs, une toute fine. Une au visage souriant, l’autre plutôt ronchon. Une cheffe, une qui paie ses galons. Je vous laisse décider quel attribut va à qui, haha. Elles nous demandent de descendre du bateau avec nos passeports, et dès que Hervé est identifié officiellement, la cheffe se tourne vers lui, et ne s’adresse plus que à lui, en le regardant droit dans les yeux.

On parle de chef à chef ici, les autres, dégagez, y’a rien à voir. Elle nous le signifie de manière très claire, à sa jeune collègue (en lui demandant de se taire) et à moi (en répondant à mes questions en regardant Hervé droit dans les yeux). J’en ris, jaune, mais j’en ris. C’est le lot des navigateurs : il n’y a qu’un capitaine à bord. Pfffff …. Et paf, mon terreau de féminisme et d’intolérance à l’injustice me font retourner à ma « condition » de manière un peu radicale, une fois de plus. Mais j’en ris, rassurez-vous.

Donc elles arrivent avec des formulaires déjà remplis (merci les téléphones précédents qui ont finalement été bien utiles), on – pardon – Hervé n’a plus qu’à signer en 5 exemplaires. En fait, en entrant sur le territoire canadien, on doit annoncer le temps qu’on y passera avant de ressortir et dire où on quittera le pays (par la même porte ou dans une autre ville).

Dans notre cas, le bateau va rester au Canada au-delà de la limite de 6 mois qui règle le sort du bateau : ressortir des eaux canadiennes ou être importé au Canada. Comme on fait les formalités le 10 septembre, on devrait repartir au plus tard le 10 mars … mais ça fait juste par rapport aux travaux qu’on devra faire en revenant sur le bateau, et par rapport à la saison de navigation, puisqu’en général la météo redevient clémente plutôt mi-avril pour remonter vers le nord …

Donc du coup, gentiment, elles nous octroient de facto la possibilité de rester dans les eaux canadiennes jusqu’au 30 juin, pour avoir le temps d’effectuer les travaux et de profiter de tout sans nous presser. Merci Mesdames !

Donc voilà. On râlait (b’en oui, bleu blanc rouge) par méconnaissance et ignorance, mais tout c’est bien passé !

12.13 septembre

Connexion – déconnexion

 

Début de journée à prendre des nouvelles des uns et des autres, téléphones pendant notre petit-dèj pendant qu’à l’autre bout du fil c’est l’heure de l’apéro, c’est tellement bon de pouvoir entendre les voix de ceux qui nous sont proches et chers … C’est toujours trop court !!

Sinon, journée admin et occupations bateau. Pendant que Le Cap s’occupait du moteur (vidange du sail drive et problèmes de tuyauterie du circuit de refroidissement qui fuit) j’ai passé pas mal de temps à appeler plus de 20 marinas dans la région de Vancouver … pas de place, pas de place, liste d’attente de 5 ans, pas de place, … du coup, bien installée au chaud dans le petit salon du Club House, en compagnie de Kevin (le chef du Yacht Club, très sympa) qui transmet toutes ses connaissances à Hervé (le pêcheur navigateur technicien en chef), je fais un mail aux 30 autres qui pourraient peut-être être susceptibles d’accueillir Myriades de novembre à mars. Et j’espère que la nuit nous apportera des solutions …

Mardi midi, on quitte Prince Rupert avec quelques réponses (plus négatives que positives pour l’instant, mais il y a des options qui se profilent) et on repart dans la nature, objectif pour aujourd’hui : l’entrée de Grenville Channel, un immense long chenal de 45 n miles. Pour y aller, c’est à nouveau du moteur sur les canaux entre les collines boisées, bordées de rochers dont la limite est très clairement dessinée, de l’eau plate et un horizon assez dégagé.

Fin de journée, on arrive dans la petite cove où un pêcheur vient de poser son ancre pour la nuit. Deux autres le rejoindront après notre arrivée, bien à l’abri des vents (pas là) et des vagues (pas là non plus), … nuit tranquille assurée, haha.

Mercredi

Hervé met le moteur en route à 7h et demi, et j’émerge une heure plus tard. Pas de vent, pas de vagues, le moteur me berce encore un moment au chaud. La pluie tombe sur le capot, l’eau chuchote son clapot le long du nez du bateau, tout ce qu’il faut pour se laisser bercer et porter encore un peu entre rêves et réalité.

On attaque le Grenville Channel dans le brouillard le plus complet, et puis ça se lève tranquillement sur le coup des 10-11h. Le courant joue contre nous, alors qu’on espérait l’avoir avec nous … sur le coup de l’heure du lunch, on a 3 nœuds dans le nez, autant dire qu’on a le temps de voir tous les détails de tous les sapins qui passent lentement à côté de nous …

Au milieu du canal, il y a une baie, Lowe Cove, on fond de laquelle coule une rivière (oui je sais, je dis ça presque chaque jour, mais ça sonne comme un titre de film, je trouve ça joli). Rivière, et surtout petite cascade. Enfin, on est à marée haute, alors c’est bien possible que de cascade il n’y en ait point. Sur la rive gauche, un ancien piège à saumons : des pieux plantés les uns devant-derrière les autres, en rang de 5, sur 200 mètres de long. On imagine qu’il y a eu des nasses et des filets tendus entre tous ces troncs d’arbre émergeant de 2 mètres au-dessus de l’eau. Sur le sommet de certains, de nouvelles pousses redémarrent et mettent en route leur vie haut perchées.

On s’approche de la cascade, ses remous clairs et son écume blanche se détachent bien sur le fond vert canard de l’eau, le tapis de sapin et le ciel gris foncé. L’eau chahute dans les cailloux noirs et gris foncé. Et tout à coup, voilà que les cailloux se mettent à bouger ! hé mais !?!?! ouiiii, c’est des ouuuuurs noirs qui pêchent et se régalent ! Viiiiite, on descend l’ancre et on saute dans l’annexe. On avance doucement vers deux beaux gros ours noirs, ronds d’avoir mangé plein de saumons, chacun perché sur son côté de rive, en équilibre sur son rocher, ils guettent, immobiles, et tout à coup balancent un coup de patte, claquent un gros coup de dents et voilà deux saumon mis à terre, croqués, étripés, vidés, avalés … leur chair rose rouge contraste avec les poils noirs et mouillés au milieu desquels deux billes noires nous guettent furtivement.

On arrive sous leur vent, doucement, ils nous dominent depuis leur rocher, on ne cherche pas à les déranger ; mais dès qu’ils font mine de partir, c’est nous qui reculons, pour les inciter à rester un peu plus longtemps ici au bord de l’eau, les pattes dans leur rivière, à patauger à l’affut de leur gourmandise, pour nous offrir ce magnifique spectacle. Ils sont magnifiques !

On reprend la route, on croque notre lunch en route, le soleil a pris maintenant toute sa place dans le ciel bleu roi au-dessus de notre tête. Peu de vent, plan d’eau calme, on aperçoit des chutes d’eau au milieu des sapins, des baleines solitaires qui nagent le long de la rive, on voit en fait plus de baleines que de bateaux cette journée-là … mais on vous rassure, on a vu seulement trois bateaux, haha !

A la sortie du chenal, elles sont plus nombreuses, mais pas ne chassent pas de manière groupée. Elles nagent tranquille, de ci de là, nous montrent leur dos puissant, leur caudale noire sur le dessus, noire ou/et blanche sur le dessous, il parait que chacun d’elle possède son propre code couleur, et que le motif de leur nageoire caudale représente un peu leur carte d’identité.

Bon, fi des baleines, on a envie d’arriver après cette longue journée de moteur dans ce boyau rectiligne, lequel présente une image bien plus attractive quand on en ressort, avec son enfilade de pans de montagnes (collines .. ?) les uns derrière les autres, plus ou moins bleu, plus ou moins vert, plus ou moins brumeux, de plus en plus petit lorsque les derniers pans apparaissent au loin, magnifique dégradé, très joli coup d’œil. Mais pendant le trajet, c’est un peu monotone …

Et puis aussi, à la sortie, il y a la promesse de retrouver un bateau-copain, SALAVIDA, avec Sylvie et Laurent à bord. On ne les a pas revus depuis Kodiak, au mois de juin, on a certainement vu les mêmes glaciers, ours, sessions de pêche, coups de vent, bains froids et chauds, … ces derniers mois, mais pas de la même manière, on aura plein de choses à se raconter.

Et effectivement, l’apéro se termine à minuit passé, pour notre plus grand plaisir !

Jeudi 14 à Hartley Bay.

Après une petite balade à terre pour essayer d’aller voir le lac qui se cache derrière le mini village de Hartley Bay, journée sous le signe du Grand Soleil, pas de vent, on décide d’aller voir les baleines. Direction embouchure du Grenville Channel là où on les a quittées hier en fin d’aprèm, b’en flûte, il n’y a personne … Tant pis, on pousse la balade un peu plus loin vers le sud, on met les lignes de pêche à l’eau, on guette et on regarde partout autour de nous, on met les voiles aussi et on éteint le moteur, quel bonheur !!

On navigue au soleil, dans un cadre où l’horizon découpe les courbes douces des pentes environnantes, l’eau bleue est calme, presque lisse, la bande sonore est composée de la glisse de la coque sur l’eau, quelques coins coins et autres bruits d’oiseaux, d’un souffle d’air, et tout autour de nous, une fois à gauche, trois fois à droite, une autre fois devant, un pfffff, un fffffffouuuu, les souffles de baleines qui viennent respirer et déchirer le voile de l’eau. C’est d’une douceur exquise, cotonneuse, un peu étouffée, comme un soufflé qui se dégonfle, ou une montgolfière qui laisse échapper son air chaud pour redescendre vers la terre.

Les trains de baleines se baladent dans cette immense baie, elles essaiment leurs petits nuages blancs de vapeur au-dessus de leur large dos, leurs nageoires caudales se baladent sur l’horizon et viennent se fondre dans le mouvement des vagues. Avant d’arriver à notre crique du soir, on assiste à la dernière bouchée du repas des baleines, avec leur ballet  « bubble feeding » : elles tournent en rond sous l’eau, relâchant leurs bulles tout en remontant à la surface, et piègent les poissons dans leur rideau de bulles. Elles n’ont plus qu’à ouvrir grand la bouche pour avaler leurs proies, et se régaler. Visiblement elles ont assez mangé, elles arrêtent là, quittent le mode opératoire « chasse » et adoptent le mode « sieste » …

On retrouve au mouillage du soir un autre bateau-copain, RISORIUS, avec Véronique et Benoit à bord, qu’on avait quitté à Kodiak eux-aussi. Encore un apéro très sympa qui se termine tard lui-aussi.

Vendredi 15, on remonte Whale Passage sous la pluie, dans le vent, dans le gris mais on a de la visi. Bain à 11 ce matin, avec des rafales puissantes ! le vent est monté à 30 nœuds en fin de nuit. Au sortir de la crique, dans le Whale Passage bien nommé, les baleines soufflent leurs nuages humides, roulent sur le côté, font des dérapages en éclaboussant tout autour d’elles, sautent, tapent de la caudale et de la pectorale, c’est un bonheur pour nos yeux cachés sous nos cirés.

Hervé me dit « c’est normal qu’elles sautent plus quand il pleut, c’est pour se laver … »

Dans le même esprit, j’appelle SALAVIDA en rigolant « Vous avez vu, la baleine a tapé 18 fois la surface de l’eau avec sa nageoire caudale !!?!! vous savez pourquoi ? pourquoi 18 ? «

Laurent, immédiatement : « B’en oui, six foies gras = dix huitres 😉 elles sont gourmandes, elles-aussi ! »

C’est vous dire à quel point la vie est sérieuse à bord, quand tout va bien.

Le long chenal qui nous mène un peu plus loin, un peu plus à l’est de Hartley Bay, nous offre plein de cascades qui glouglouttent depuis les hauteurs des collines-montagnes environnantes, et se jettent dans l’eau à côté de nous. Il a pas mal plu ces derniers jours malgré les gros nuages bleus, et la montagne renvoie à la mer tout ce que le ciel lui a versé en trop. Circularité oblige. Mais je ne suis pas sûre d’avoir saisi à quel moment ici l’eau de la mer remonte dans le ciel 😉 … si si, on a eu du beau temps aussi !!

Paysage un peu « déjà vu », alors on en profite pour comprendre pourquoi les vitesses GPS de SALAVIDA et de MYRIADES ne sont pas les mêmes (alors que nous naviguons à 200 mètres l’un de l’autre, au moteur) et aborder d’autres considérations techniques, le tout en se parlant à la VHF.

Dimanche 17 septembre

A l’abri dans Bottleneck Inlet

Haha, il est bien nommé cet abri, pour torde le cou au mauvais temps !!

On est à Bottleneck Inlet depuis hier soir, et on y sera jusqu’à demain matin. On est là car gros vents du sud annoncés ; les canaux dans lesquels on déambule n’offrent pas mille lieux pour se replier, et favorisent les belles accélérations de vent … donc mieux vaut éviter de faire la route avec vent et courant contre nous …

La flottille GARCIA poursuit sa route gentiment vers le sud-est, jouant des éléments naturels et en tirant le meilleur parti. Flottille GARCIA : RISORIUS, 30 ans d’âge, Garcia d’ancienne génération, SALAVIDA, 6 ans d’âge et MYRIADES, 8 ans, tous issus de la même fonderie alu qui travaille pour le même chantier. C’est un voilier qui fait du charter dans le coin, dont on croise la route régulièrement, qui nous a interpellé l’autre jour devant une chute où on guettait l’ours « c’est vous la flottille Garcia ? »

On a avancé chacun son rythme hier, les uns s’arrêtant aux pieds des petites cascades, les autres préférant les criques où la pêche était possible, et on s’est tous retrouvé pour manger les halibuts pêchés par Risorius, le Gravelax de l’énorme saumon préparé par Le Cap, et la délicieuse tarte aux poires de Salavida. Et oui, on a tordu le cou à une bouteille ou deux.

Aujourd’hui, grasse mat bien méritée sous la pluie, drue, intense, ininterrompue, accompagnée d’un bon 25 nœuds de vent, et puis coupe-coupe-tiff et jeux de carte, bien au chaud, à l’abri, en bonne compagnie. On en a profité pour clarifier la route à venir, et les criques à choisir dans ce méandre d’ilots, de bras de mer, où l’horizon est toujours cerné de sapins. Quoique, quelques feuillus pointent de-ci de-là, mêlant leurs feuilles vert tendre au milieu des verts plus touffus. On reprendra la route demain, toujours sous la pluie, mais les vents devraient tomber cette nuit.

Mardi mercredi, Régates dans les canaux

Après Bottleneck, on a embouqué un certain nombre de canaux, plus ou moins larges, plus on moins rectilignes, plus ou moins étroits proposant quelques « narrows » où les courants s’accélèrent, plus ou moins ventés, plus ou moins ensoleillés, … mardi matin étant résolument dans les brumes et le gris très mouillé, on a pris des litres et des litres et des litres sur la tête, mardi après-midi un peu plus sec, et ce mercredi magnifiquement ensoleillé.

On a savouré deux journées où les airs étaient avec nous, quel plaisir ! Sortir les voiles, choisir ses bords, utiliser le vent, avancer sans autre bruit que le chant de l’eau sur la coque et du vent dans les voiles, quel régal ! Ah si parfois d’autres bruits : hier beaucoup de ploc ploc de gouttes de pluie, ce matin les souffles de quelques baleines, et puis aussi les cancans d’une escadrille d’oies en migration, parfois un hydravion qui passe tout près, … c’est hyper calme.

Au niveau voile, c’était grandiose ! Eau plate et vent portant pour une fois, du bonheur en barre. Je vous promets qu’on a savouré ! En plus on naviguait avec Risorius et Salavida, donc on était un peu en mode régate, ça met du piment dans les journées !

Aujourd’hui on a même sorti le Code D, et Hervé a pêché un beau saumon de 3kg et demi sous voile, on avançait pile à la bonne vitesse, super cool !

Hier, le bateau à peine ancré, Le Cap a mis la canne à pêche en fonction, et trois minutes après, il avait déjà sorti un halibut  … dont la tête est allée garnir le panier à crabes, qui nous a permis de « récolter » ce matin 3 beaux crabes Dungeness mâles (la 4ème était une femelle, et on doit les relâcher, ce qui a été fait), une sorte de crabe qui marie les plaisirs du tourteau et de l’étrille, autant vous dire qu’on va se régaler demain !!!

On dort à Fury Bay ce soir, mais je ne sortirai pas mon Furkini puisque je n’en ai pas acheté à Sitka … Un Furkini, vous savez ce que c’est ? un bikini en poil de loup, ou poil de lapin, ou poil de renard, … c’est pas très joli mais ça se vend bien semble-t-il …

Ce soir les deux Garcia sont plus au sud, ils avancent vers l’ile de Vancouver, nous on traîne un peu, tant pis si on risque de le regretter après-demain (le vent du sud est annoncé, un peu costaud peut-être), Hervé a encore envie de pêcher.

On avance, chacun à son rythme, selon la météo, les envies, les impératifs. Je dois dire que notre vie de nomades des mers est une chance incroyable et unique, et qu’on la savoure intensément ; et le corolaire du nomadisme est l’absence de racines. Un autre corolaire du nomadisme est la succession des rencontres, et des séparations. Et les bateaux-copains sont autant d’oasis qui viennent nourrir nos racines, que de bateaux qui vont profiter d’autres courants d’airs que les nôtres, alors que j’aimerais pouvoir encore partager des moments d’amitié. Ces vagues de vie nous offrent leurs deux facettes : les joies des retrouvailles, et puis quitter, partir. J’aime pas la face B.

L’automne est là

On dort à Blunden Harbour

Après un petit plouf rapide dans une eau à 10°, je monte Hervé au mât. Une bastaque est sortie de son point d’attache pendant une manœuvre pas très « catholique » … ni orthodoxe d’ailleurs … On part dans la brume, on avance dans la brume, on navigue dans la brume, au radar, et au moteur. Pas d’horizon, hormis une ligne grise d’un gris plus foncé que celui d’en haut et celui d’en bas, qui parfois noircit ou bleuit, ligne d’un trait plein, et parfois ligne en traitillé.

Pour pêcher encore un coup, sans succès d’ailleurs, on passe proche des rohers et des petites îles qui flottent de gauche et de droite, on fait du « rase cailloux », et les ilôts nous sautent aux yeux à peine à 20 mètres de la coque. Vous dire si la visibilité est importante.

En arrivant à Blunden Harbour vers 16h, la végétation commence à réchauffer le plan d’eau et à retenir les nuées brumeuses, le soleil réapparait progressivement. Quel bonheur de terminer la journée dans le bleu !!! 7 bateaux au mouillage, 2 motor boats, 4 francophones et 1 canadien à voile. Risorius a pêché un gros lingcod, on est tous invités pour le manger en blanquette. On apporte nos Dungeness crabes pêchés à Codville Lagoon, Salavida nous régale d’une mousse au citron, encore une délicieuse soirée gourmande. On n’aura pas réussi cette saison à reprendre un cran à notre ceinture … Faut dire qu’il fait souvent gris ou mouillé ou froid par ici, voire tout en même temps …

On traverse Queen Charlotte Strait dans le bleu complet

22 septembre

Je trouve l’eau très froide ce matin, pourtant elle est chaude comme dit Risorius … Ils se baignent tous les matins, mais quand je dis « se baignent » c’est qu’ils nagent un bon quart d’heure dans l’eau à 11 …  Chapeau !! Ils ont créé un club d’afficionados : Le Club Paprika ! ils finissent leur bain tout rouges, haha !

Beau soleil et absence de vent transforment la baignade et donnent presque envie d’y retourner pour essayer de rester un peu plus longtemps dans l’eau, mais là, mes deux ploufs de prétexte à la douche me suffisent …

On a quelques miles à parcourir aujourd’hui avant d’arriver à Port McNeill, le vent est très très léger, le soleil est haut haut perché, on est en Tshirt dehors tellement c’est bon.

Le plan d’eau est comme toujours entouré de montagnes et de collines, plus ou moins proches, d’iles plus ou moins étendues, plus ou moins arbrues, toujours de vert sapin revêtues, et aujourd’hui tout se décline dans les bleus. Bleu clair, bleu layette, bleu outremer, bleu cyan, bleu souris, bleu canard, surtout bleu en fait, plus ou moins intense. Dans les couleurs, on distingue les nuances et les valeurs, et ce jour-ci, on travaille surtout les valeurs des quelques bleus qui nous entourent, plutôt que la diversité des nuances …

Ce qui est magnifique, c’est cette dentelle à l’horizon où se mêlent et s’entremêlent les courbes des collines, les unes derrière les autres, chaque fois un peu plus éloignées ou rapprochées de nous, où qu’on pose les yeux, notre regard se perd dans les superpositions et les entrelacs, c’est poétique c’est somptueux ça pousse à la rêverie et à la contemplation …

Port Mc Neill

26 septembre

On y est arrivés le 22, il y a déjà 4 jours … le temps file mille fois trop vite. Cette fois il passe au rythme des vagues de vent et des vagues de pluie, les uns sous la forme de gros souffles intenses nous envoyant leur puissante ventilation dans les mâts, 42 nœuds à l’anémomètre au port (pas loin de 80 km/h), et les autres nous déversant des seaux des seilles des vases des baignoires des piscines des verres des gallons des litres de flotte sur le pont. On est donc à l’abri et on attend que ça passe.

Ca nous donne l’occasion de nous adonner à quelques plaisirs terrestres : un bon burger dans un grill très américain -b’en oui, le Canada est bien en Amérique- avec billard, bière qui coule à flots, foultitude d’écrans diffusant les matchs de hockey, de rugby, de football américain, les résultats du loto, clientèle tout en rondeurs et gourmande des plats pleins de sauces de sucre de gras ; une bonne pizza dans une brasserie très sympa fondée par trois frères locaux, l’une des serveuses -tout de noir vêtue, piercée et tatouée de partout, perchée sur ses semelles compensées de 25 cm et derrière ses lunettes en pâquerettes- est notre voisine de ponton ; des balades en vélo quand la pluie s’arrête pour aller se dégourdir les jambes et explorer un peu les alentours ; une cueillette de mûres sauvages qui poussent au bord de la route, sitôt transformée en confiture ; une lessive ou deux pour rencontrer d’autres voyageuses (allez savoir pourquoi, je croise rarement des hommes dans les laundrymat) ; une soirée de jeux à bord d’un batocopain ; un tour chez la coiffeuse pour Le Cap ; refill du frigo et de la cave ; et puis quoi d’autre …

B’en … remplacement de la drisse de la GV dont la gaine s’est désolidarisée de l’âme, changement du bouton de commande pour le guindeau de chaîne (ça c’est pas cool quand il pleut), et puis quand il pleut encore on rentre pour la suite des recherches de la panne du propulseur, recherche de marinas pour laisser le bateau pour l’hiver (c’est hyper cher dans le coin, ils sont peu flexibles sur les dates -veulent tous nous vendre un contrat hivernal pour 6 mois) et il y a relativement peu de places libres « au sec », recherche de fournisseurs pour la peinture de la coque (antifouling) qui ne se vend plus au Canada, recherche de billets d’avion, lecture des guides et des cartes pour choisir la suite de la route … il y a de quoi faire.

Donc on attend la fin du mauvais temps et après on se remet en route. D’ici là on vous embrasse fort très fort !

Mercredi 27 – Jeudi 28 septembre

Dans les dédales des Broughtons

On quitte Port McNeill mercredi à midi, après avoir demandé à la drisse de la GV et à la balancine de bôme d’échanger leur place et leur rôle (Le Cap a quand-même dû monter au mât puisque le messager s’était coincé dans la poulie tout là-haut …), donc ça y’est, on peut remettre les voiles !

On s’enfile dans le Johnstone Strait, longeant la côte nord-est de l’ile de Vancouver, à la recherche d’orques et de baleines. Il y a une réserve naturelle pas très loin, et des bras de mer qui se rencontrent et se serrent les mains très fort un peu partout, donc des remous, des poissons, du courant, donc potentiellement des gros épaulards ou de belles robes gris-ardoise à observer …

Et ça ne manque pas ! on se retrouve moteur éteint à dériver à 3 nœuds dans un sens, puis dans l’autre, et même de manière perpendiculaire à notre ligne, avec des baleines qui elles aussi profitent des courants pour chasser plus vite et traquer les pitits passons.

Les Broughtons, c’est un chapelet d’iles et d’ilots sapineux, toujours juchés sur leurs rochers plus ou moins dorés. Il y en a de toutes les tailles, de toutes les formes, émergeant n’importe où des eaux grises, la végétation n’est pas très haute, le soleil est bien accroché haut dans le ciel, les airs sont absents donc l’air est doux, la balade est magnifique.

On se faufile dans des passages tout étroits où le courant s’engouffre, on marche en crabe, on prend des raccourcis, on rencontre des baleines presque dans chaque nouvelle baie. Parfois elles chassent en groupe, parfois elles chassent seules, c’est visiblement l’heure du repas. Sur tribord tout à coup, un banc de mini poissons jaillit hors de l’eau, ces petites étincelles fusant hors de leur élément, poursuivies par une gueule immense qui se referme sur les malchanceux, dans des gerbes d’eau pétillante et remuante. Ca dure 5 secondes et ça s’en va, mais ça laisse des souvenirs fabuleux.

La fin de la journée me permet de faire du yoga sur le pont presque en t-shirt, et je me réjouis de goûter à nouveau le plaisir de l’eau froide demain matin.

Hervé a péché deux rock-fish qui vont servir d’appât pour les crabes, et puis Laurent et Sylvie de SALAVIDA arrivent la banane accrochée aux oreilles, avec une morue de 90 cm et 7 kg toute mouillée ! une énooooorme bête ! Pas fiers ces deux-là, haha !

Jeudi matin, Hervé va relever le casier à crabes et ô bonheur, il y en a 8 à l’intérieur !!! yahouou, on va se régaler !! il relâche les dames et les demoiselles, les plus petits aussi et on en cuit 4 pour un plaisir gustatif à venir …

Moi je renoue avec le bain du matin, à 9 degrés … je tente de prolonger mais j’ai vraiment froid aux pieds. Demain j’essaierai d’y rester un peu plus longtemps ! Ca fait tellement de bien … si si !

La journée se passe sous le soleil, au moteur, dans les méandres des Broughtons, un long bord sous génois dans le silence, les lignes dehors pour essayer d’attraper des saumons, mais le courant nous fait avancer trop vite. Peine perdue.

Les terres alentours sont boisées d’arbres immenses et rectilignes, qui doivent constituer le fonds de commerce de beaucoup d’entreprises … les pentes ressemblent à de grands patchworks, déboisées par endroits, totalement nues, ou alors replantées avec d’autres essences ou laissées au repos pour être reboisées par les sapins locaux. Ca donne des forêts à étages multiples, comme si la nature était une grande pelisse mitée.

On navigue dans le bleu et le vert, on croise deux petits bateaux de pêche, on est seuls, avec Salavida tout près. Apéro jeux en perspective ! Hier soir c’était le Tarot Africain initié par Hervé, ce soir peut-être un Séquence, ou un Continental. C’est cool d’avoir des copains qui aiment jouer, c’est des chouettes moments de partage !

29.30 septembre

Un vendredi comme un samedi : beau temps, jolis airs, on se régale !

On termine le mois de septembre sous le signe du soleil, c’est juste délicieux, doux, tranquille, belle entrée dans l’automne.

On continue de voguer dans les canaux de BC bordés de sapins, de petites maisons plus ou moins habitées dans les baies et les criques, parfois des villages totalement abandonnés, parfois une marina familiale rutilante avec son toit rouge, ses bordures de fenêtres blanches et sa façade de bois coloré, avec un ponton de bois pour l’accueil des bateaux estivaux.

On a choisi le chemin des écoliers : le moins direct, qui s’amuse à serpenter entre les ilets, plutôt que de prendre le canal principal (le Johnstone Strait) qui descend droit depuis le Queen Charlotte Strait sur le Seymour Passage et la grande baie de Vancouver (qui débute au nord-ouest par le Strait of Georgia), où le terrain de jeux serait beaucoup moins rocambolesque.

Sur notre trajet : pas moins de cinq passages qualifiés de « rapides ». Ce sont les endroits où les canaux se rétrécissent sérieusement, et où les courants sont annoncés importants. Les cartes nautiques ne cessent de mentionner « caution ! » « hazardous passage due to high currents and strong whirlpools » « violent eddies and whirlpools » « extremely dangerous eddies and turbulence may be encountered » etc. etc. etc. .

Il faut dire que le marnage est assez important dans cette région (pas moins de 4m de différence entre marée haute et marée basse), que les fjords à rallonge, se remplissent puis se vident, que les chenaux se croisent se mêlent et s’entremêlent, ce qui rend la navigation à la voile (car oui, hier et aujourd’hui on a eu du vent, portant en plus) super sympa et très vivante.

Il faut sans cesse corriger le réglage des voiles car le vent change d’angle constamment, la dérive se prend dans les courants et fait un croche-pattes au bateau qui tout à coup gîte à contre ou change de cap, les vents jouent avec le relief montagneux et collineux, et hop on borde les voiles, et hop on empanne, et hop on largue les écoutes, et puis hop encore on ré-empanne, sous le soleil c’est cool ! si on était sous la pluie, on y trouverait moins de plaisir, soyons honnêtes !

Hier soir on a eu la surprise de voir débarquer dans notre mini-crique un Allures 45, habituellement amarré à Glacier Bay, avec qui on est en contact depuis quelques mois. Grande surprise car on ne savait pas qu’ils descendaient sur Seattle, et on avait prévu de les rencontrer l’été prochain. Donc c’est fait, la soirée partagée avec Fri Furch (qui veut dire Curieux, en breton) et Salavida a permis à des équipages bien sympa de faire connaissance et échanger moultes informations.

Demain ça sera encore une journée « courte distance » à jouer dans les rapides, et puis on va essayer aussi d’aller taquiner le saumon dans les bras de Frederick ou de Philipps (Philipps Arm), aux creux desquels coulent des rivières issues de lac portant leur nom (Frederick Lake).

Sinon, oui, j’ai tenté de prolongé les bains matinaux, mais j’ai beaucoup de peine à le faire (ca fait mal aux mains et aux pieds), et surtout je mets des heures à me réchauffer .. alors bofff. Si il faut que je me fasse un chocolat chaud après chaque bain, ça ne va pas m’aider à rentrer dans mes pantalons pour rentrer à la maison … haha. Ce soir ça sera léger : soupe de légumes et les dernières petites pattes de crabe.

Bisous Bonne Nuit et Belle jourée à vous

On attaque Octobre dans les courants d’eau (à défaut d’air)

1er et 2, entre les rapides de Greene Point et Yuculta

Les premiers rapides desquels on s’est approchés nous ont montré de magnifiques tourbillons puissants, des courants bouillonnants et pétillants, des énormes masses d’eau poussées par-dessous, comme une grosse confiture en train de mijoter dans un gigantesque faitout, proche du point de cuisson, quand elle a suffisamment épaissi pour pouvoir être mise en pots …

Des mouvements eau vraiment impressionnants ; tout à l’air relativement calme en surface, et dessous ça pulse ça vit ça bout ça déménage.

On s’est arrêtés juste après les premiers rapides (Greene Point)  pour une petite pause de mi-journée, dans une mini baie ouverte et dégagée, ensoleillée à souhait, où les rochers doux, polis, clairs et dorés nous invitaient à venir jouer dans l’eau claire et limpide. Les herbes, buissons et branches de résineux conjuguaient eux-aussi leurs efforts pour nous ramener dans le sud de la France, quand il sait offrir des petits coins encore sauvages. Mais la température de l’eau et la rapidité avec laquelle la marée montait nous a vite ramenés aux joies de la Colombie Britannique.

On a passé les seconds (Dent rapids) de manière hyper tranquille, on y était pile à la bonne heure pour avoir le moins de courant possible, et du coup « on n’a rien vu » hormis de l’eau calme. Flûte, un peu frustrant pour des rapides … Il faut dire qu’en regardant les cartes de plus près, les courants annoncés se baladent entre 9 et 14 nœuds, selon l’heure et le lieu … donc on est prêts à être chahutés, pas à être cajolés …

Du coup, ce matin quand on a quitté Big Bay pour passer les rapides de Yuculta -on avait bien calculé l’heure à laquelle on voulait pouvoir passer la sortie ouest de « Hole in the Wall » pour y être à courant faible, à 6 miles de là- on a été bien surpris par le courant encore fortement contraire à nous qui circulait, et à vive allure !! Quand on a vu débouler à fond de train un petit voilier (circulant sans voile et à moteur), nous passer devant de gauche à droite à la vitesse grand V comme sur un tapis roulant, on s’est dit « ah b’en on n’est pas dans la panade, là, est-ce qu’on va réussir à remonter ? » parce que oui bien sûr, nous on partait à gauche …

Donc pendant 30-45 minutes, on avait le moteur à fond, on l’a bien décrassé ; on a réussi à atteindre une vitesse « surface » de 7 nœuds, pendant que la vitesse « sol » décollait à peine à 1.5 nœuds … autant dire qu’on aurait mieux fait d’y aller à pied, haha, mais surtout c’était inquiétant de voir à quel point on n’était incapables d’avancer. Finalement, on a opté pour l’option lèche-cailloux plutôt que le centre du canal, où des poches de contre-courant se forment régulièrement. Mais avec l’inquiétude de se manger du rocher par inadvertance.

Finalement ça l’a fait, on a réussi à passer les Yuculta rapids, et on a pu s’engager dans ce canal qui s’appelle Hole in the Wall. Il porte assez bien son nom. Embouchure tout étroite, long tuyau entre deux murs de pierres et de sapins. A son entrée, quelques paquebots de mouettes, juchées sur leur tronc d’arbre mort qui dérive dans le courant, et puis tout à coup un souffle, petit souffle de petite baleine … j’en crois pas mes yeux, je le dis à Hervé qui me dit tu rêves, c’est des dauphins, je lui dis non non, les dauphins ça ne souffle pas comme ça, et là … un dos énorme émerge face à nous, se déroule et replonge, toujours face à nous, et nous présente sa magnifique caudale haut perchée dans les airs, belle, large, entièrement déployée, noire luisante, resplendissante. La baleine sonde et disparait, nous laissant seuls face au boyau devant nous. Le temps est calme, le courant nous porte doucement dans la bonne direction, juste le temps de faire cuire un repas de midi bien chaud et revigorant, parce que depuis ce matin on est à nouveau sous la pluie …

Déjà samedi 7 octobre, on est un peu à la fin des endroits sauvages … Flûte alors !!

Ces derniers jours, on s’est baladés dans des baies, sur des lacs, entre des parois très rapprochées, dans des endroits avec juste 3 mètres d’eau sous la coque, toujours (presque) sans voile et au moteur, et de plus en plus à terre. On a fini de jouer avec les courants tumultueux et les timings minutés.

Après la jolie baie de Octopus Island, pleine de petites îles, on est revenu dans le chenal principal qui porte bien son nom (Calm Channel) pour aller explorer les rives côté terre-continent-mainland. C’est pas très différente du reste, mais ça nous permet de continuer à naviguer dans des eaux protégées, calmes, où pour notre grand plaisir, croisent encore des baleines, quelques dauphins, et puis surtout, surtout, on est dans un climat super tempéré, super agréable, sec et presque chaud. Pas loin de 17 degrés en journée, au soleil, même si les nuits restent fraîches, autour de 10. Les bains matinaux continuent, entre 12 et 14 degrés.

Entre Octopus Island, Teakerne Arm et Squirrel Bay, la forêt sapineuse qui descend jusqu’à l’eau commence à se transformer gentiment, ses dessous s’aèrent et s’ouvrent aux piétons que nous redevenons avec un immense plaisir. Vous n’imaginez pas ce que veut dire naviguer en Alaska et en Colombie Britannique, loin des villes et des villages … très souvent ça veut ne pas pouvoir descendre à terre, ne pas pouvoir marcher, ne pas pouvoir se dépenser et vivre complètement sur le bateau, dans le bateau. Donc là en ce moment, on se régale ! on se fait des marches sur les tapis d’épines, à parcourir les sentiers aménagés et surtout dégagés de branchages morts, le nez par terre à regarder où on met les pieds, à passer d’un champignon à un autre champignon, d’un parterre moussu à une colonie de lichen, d’une pomme de pin à une pive grignotée par un écureuil, d’un écureuil à un oiseau, d’un oiseau à un ruisseau, d’un ruisseau à un lac, le plaisir de marcher, quel bonheur !!

On redécouvre les odeurs des sous-bois, les rayons du soleil dans les feuillages, les grimpettes dans les rochers, la douceur d’une écorce caressée, la beauté de l’ouvrage d’une araignée qui garde encore quelques gouttes de brume accrochée, les fougères qui tapissent les sols, les immenses fûts des arbres qui s’élancent vers le ciel, tout droits, fiers et portant haut leurs branchages, et puis, de plus en plus, le vert sapin fait un petit peu de place aux couleurs automnales portées par les arbres canadiens emblématiques : les érables se découvrent et prennent place dans le paysage, le parsemant de rouge, de jaune et d’ocre lumineux, c’est beau pour les yeux, ça fait du bien à l’âme de retrouver des nuances plus chaudes, plus douces, même si le bleu qui nous entoure en ce moment est absolument éclatant.

Hier en taquinant le poisson, j’ai pêché un lingcod presque turquoise taché de brun, à la chair bleue, c’est vraiment particulier. Et surtout, j’ai pêché un lingcod plus gros que celui du Cap, haha ! bon, d’accord, pas de beaucoup, mais quand-même 200 grammes de plus au bout de la ligne. C’était génial de pêcher juste avant l’entrée de Melanie Cove, les phoques se faisaient leur sieste au soleil, on les entendait grogner juste à côté de nous.

Une fois l’ancre posée au fond de l’eau, je me suis installée pour bouquiner au soleil, à écouter le silence me remplir les oreilles de tous les bruits d’une crique … le clapotis d’une vague qui arrive à la côte, le bruissement de l’air dans les branchages, les chants des oiseaux, la douceur du rayon de soleil (ah non, ça ne fait pas de bruit, mais qu’est-ce que c’est bon !) la respiration douce d’un phoque qui nage pas loin, et puis soudain un énorme bruit sourd, court, comme une énorme claque sur l’eau. C’est des baleines qui nagent chassent mangent de l’autre côté de la baie. Le silence est d’une telle qualité qu’on les entend à plus de 3 miles (5-6 km). Du coup on saute dans l’annexe et on file les voir. Un peu débiles les deux en zozo, sans gilets sans radio sans bidon de réserve … une baleine doit bien faire 4-5 fois la taille de l’annexe, et nous on part tout guillerets pour aller les voir de plus près … mmmmhhh … rétrospectivement, c’était pas le bon plan. Par contre, c’était génial d’être sur l’eau dans le silence total, à écouter tous les souffles des baleines dans la baie, et leur causerie, parce c’était clair qu’elles se parlaient ! Pas de chants comme on a eu la chance d’en entendre en Polynésie, mais des manières de souffler l’air par leur évent qui évoquait le son de quelqu’un qui s’amuse à souffler dans un tuyau et de produire des notes différentes, avec des intonations, des longueurs et des sons nettement différents.

Quand Salavida est entré dans la baie, on a réalisé à quel point le moteur d’un bateau est bruyant quand la nature est calme. Et en ce moment, elle l’est vraiment. Les endroits qu’on traverse portent des noms inquiétants, comme Rough Point, Mistake Island, ou Desolation Sound, mais avec une mer lisse et un vent absent, c’est très beau. Mais on imagine aisément à quel point ça peut être autrement plus hostile les jours de gros temps.

On a bien profité de cette nature sauvage et brute, avec des mouillages sans autres navires que nos deux barques, et la géographique locale nous dirige inexorablement vers plus de monde, plus de maisons, plus de villages, plus de civilisation. On est plus qu’à 80 n miles de Vancouver, donc forcément, les citadins cherchent la nature eux-aussi, et ont besoin d’infrastructures … Par exemple, dans la crique d’hier, Melanie Cove, sur tout le pourtour de la baie, tous les 20 mètres on trouve une chaîne de 15 mètres de long fixée dans la roche, pour permettre aux bateaux d’être ancrés les uns à côté des autres, en rang d’oignons à la belle saison …

On va une fois de plus aller se mettre à l’abri 2-3 jours pour laisser passer le vent et la pluie qui s’annoncent pour après-demain, et puis après on verra, c’est bien possible qu’on descende jusqu’à Vancouver pour visiter cette ville parait-il magnifique.

Mercredi 11 octobre, on quitte Powell River

 

Après 3 jours gris venteux et mouillés, voilà le grand retour du soleil !! du coup tout le monde en profite pour faire sécher les voiles en quittant Powell River, avec les 12-14 nœuds de vent qui se baladent dans le chenal. On avance vite et en silence, avec DEUX voiles en l’air ! utiles les voiles ! Ca devient presque un évènement de pouvoir avancer sans moteur, haha !

On a donc passé 3-4 jours au port de Powell River, ville principale de la Sunshine Coast, première grande ville depuis Honolulu pour le bateau !! 14’000 habitants, c’est pas rien … Mais on ne s’en rend pas compte car la ville ne déborde pas d’activités ni d’énergie … grand territoire où le terrain doit être assez abordable, chacun possède son lopin de terre bien carré sur lequel une maison souvent en bois et sur un seul niveau est installée. Un auvent pour abriter la grosse voiture, quelques fenêtres encadrées de blanc, un toit pentu, des citrouilles et des plantations dans le jardin. L’urbaniste à l’origine de la ville ne s’est pas cassé la tête : un quadrillage bien carré bien régulier, avec juste un grand rectangle au milieu de tous ces carrés, pour y abriter les grandes surfaces et centres commerciaux. D’’ailleurs ce rectangle s’appelle City Center …

L’usine à papier a fermé il y a quelques temps, et on ne sait pas dire ce qui fait tourner l’économie locale. On est allé dîner un soir dans un restau assez sympa, avec musique live en fin de semaine (et soirée karaoké le mardi), il n’y avait pas foule. En discutant avec John, le patron, je lui demandais si c’était facile de trouver des musiciens pour animer son lieu, et il me répond du tac au tac que c’est plus difficile de trouver des clients …

Powell River donc, grande ville en surface et en population, et aussi de manière stupéfiante, en animaux sauvages ! En se baladant le long du sentier de bord de mer, quelle n’a pas été notre surprise de découvrir un beau gros ours noir bien dodu en train de faire sa sieste à 10m de hauteur tout là haut dans un sapin … !!! il nous regardait passer nonchalamment, à l’abri des humains, et néanmoins complètement au milieu d’eux ! Et puis des biches dans un jardin, des loutres de terre sur le quai qui se baladent de nuit sur les bateaux, et puis bien sûr des souffles de baleines non loin.

Hier on est partis avec Sylvie et Laurent de Salavida en vélo pour aller faire un dernier appro au supermarché, vers 17h45, donc fin de journée solaire. En grimpant la colline, je pédalais joyeusemsent devant, et tout à coup je vois à 20 mètres devant moi, sortant d’un jardin, un magnifique … terre-neuve ? gros chien ? non … ours ? ours !! je fais immédiatement demi-tour et j’appelle mes cyclistes « Hé ! vous voyez comme moi un ours ou c’est seulement un chien ??!?!? » Et oui, c’était bien un ours noir, qui a été aussi surpris que moi, et qui a aussi vite disparu qu’il était apparu … Ouh b’en dis, c’est vraiment étonnant ! du coup, on reprend l’habitude de sortir avec nos bear sprays dans la poche, même si tout le monde nous dit qu’il suffit de faire du bruit, puisqu’ils sont bien plus timides que nous …

Jeudi 12 octobre, à Smuggler Cove

On a donc quitté Powell River hier, tôt mercredi matin, pour rejoindre le village de Vananda sur l’ile de Texada. On avait envie de s’y arrêter pour visiter le petit musée qui relate la vie de cette communauté d’un millier de personnes, qui a vécu et vit encore d’activité minière principalement. Calcaire, or, cuivre, minerais de fer. Aujourd’hui l’extraction est moins importante, les habitants se tournent vers l’agriculture et développent des petits business qui leur permettent d’être le plus autonome possible sur leur terre en mer. Un peu de touristes passent par ici régulièrement aussi.

Le petit port où on débarque est super accueillant, une jolie atmosphère s’en dégage. Les pontons en bois ont été refaits récemment, un toit de tente blanche abrite deux tables avec des bancs, un coffre accueille les livres à échanger, quelques touffes de fleurs apportent leur touche colorée, la réglementation du lieu est clairement annoncée et basée sur la confiance (le prix de l’amarrage pour les bateaux est affiché, chacun fait son calcul, et met la somme correspondante dans une enveloppe, puis la glisse dans une petite boite), d’ailleurs on ne paie que si on arrive après 14h et si on y passe la nuit. Ce qui permet la visite au musée tout facilement … parce que ledit musée est ouvert uniquement le mercredi de 10h à midi (hors saison).

L’objet de notre curiosité aujourd’hui est installé dans l’ancienne école primaire ; il a été entièrement construit et aménagé par des volontaires, mettant en valeur tout ce qui a été retrouvé sur l’île au fil du temps. Outils, vêtements, objets domestiques, les pans de la vie active et de la vie privée sont mis en scène de manière très vivante, on a presque l’impression d’entrer dans le quotidien des villageois. Les villageois ne jettent quasi rien, ou enterrent leurs déchets dans leur jardin, ce qui fait qu’il y a régulièrement de nouveaux « trésors » à mettre en valeur, auxquels construire une légende ou une histoire pour les contextualiser.

On découvre aussi que l’ile de Texada possède elle-aussi une pierre fleurie, comme celle de Ua Pou aux Marquises. Rareté minérale issue de la rencontre de la roche avec gaz et minerais, les pierres se parent de petites fleurs.

Après la balade culturelle, place à un très agréable moment de voile, on profite des airs pour atteindre le mouillage du soir, 20 n miles plus loin au sud-est. On s’arrête à Smuggler Cove, où l’étroitesse du lieu nous oblige à mouiller comme en Patagonie : l’ancre à l’avant, et le cul tiré à la côte, tenu par une aussière portée à terre. Ici aussi, des chaînes sont à poste pour permettre à tous les plaisanciers estivaux de profiter des lieux, bien alignés les uns aux autres, évitant toute mauvaise surprise et autres carambolages.

A peine arrivés, Hervé part pêcher un rock fish pour garnir le panier des crabes. Il revient avec sa petite prise brune et épineuse, la coupe en morceau et remplit le petit filet qu’il glisse dans le panier. Cette fois, pas envie de chercher l’endroit idéal pour poser la cage, il la laisse tomber dans l’eau simplement depuis l’avant du bateau.

Pendant ce temps, je savoure les derniers rayons de soleil en bouquinant sur le pont.

Il y a mille autres choses que je devrais faire, mais c’est toujours difficile pour moi de ne pas profiter de l’extérieur quand il fait beau … le tri des photos, les écrits pour les publications, mon projet d’ateliers, les «tout doux » listes pour préparer le départ, tout ça passe après, après, après quand il fera nuit, après quand la pluie s’invitera, après quand il fera trop froid, après quand le soleil ne sera plus là … oui, je protartine en toute conscience, et ça me va.

Ce matin, le casier à crabes a bien rempli sa fonction : 5 beaux mâles nous accueillent à bras ouverts, toutes pattes hérissées à l’approche de nos mains. Ils finissent à la casserole, tout rouges et tout tranquilles. Hervé partage sa pêche avec Salavida.

Balade à terre, sur un tapis d’aiguilles de pin roussies par l’automne et chauffées par le soleil, tapis odorant qui ravit nos narines, forêt aérée, barrage de castors, soleil qui passe entre les branchages, mélange de feuillus et d’épineux. On découvre enfin le nom de cet arbre magnifique, aux branches tortueuses et feuillage bien vert, qui a une particularité : il pèle, son écorce brune laisse place à la fin de l’été à une peau toute lisse toute rouge, et on a qu’une envie, le caresser encore et encore. Ah, au fait, il s’appelle Arbutus Tree (Arbutus menziesii) et on le trouve surtout le long de la côte sud de la BC.

On a beau avoir choisi une crique sans marina ni installations humaines, on voit que la civilisation n’est pas loin : on croise plein de monde sur les sentiers ! des jeunes, des plus vieux, des familles, des sportifs, c’est fini la vie isolés dans la nature. Encore un mouillage « sauvage » demain soir, et puis après on plongera directement au cœur de la grande ville locale abritant 680’000 personnes … Vancouver. On va aller poser l’ancre au centre-ville directement, histoire de profiter de notre maison flottante pour être au plus proche de tout ce qui est à visiter et à découvrir ! On se réjouit !!

Ah, et au fait, vous vous demander ce que Smuggler veut dire ? Tout simple : contrebandier ! En fait, cette crique était réputée pour y voir débarquer et embarquer de l’alcool de contrebande, mais aussi pour y abriter les activités clandestines de passeurs « à l’époque », quand les ressortissants chinois débarquaient illégalement pour venir travailler à Vancouver …

Vendredi 13, un joli jour pour arriver à Vancouver !!!

Sans Vent et sans ciel Couvert, haha !

La ville s’est annoncée au loin, dans toute sa verticalité, et puis petit à petit, sa vaste étendue s’est offerte à nos yeux. On quitte les pentes douces et vertes des canaux et de la nature environnante pour entrer de plain-pied dans cet immense golfe qui abrite Vancouver. On aborde l’eau plate que quelques rafales viennent zébrer, et nous faire gîter, nous rappeler que oui, on est bien sur un bateau, même si depuis quelques mois on dort à plat sur un plan d’eau au repos. Les cargos ancrés comme un rempart se laissent dépasser pour approcher la ville verte hérissée de verre.

On navigue encore dans le Burrard Inlet, on passe par la baie des Anglais, puis on se faufile dans False Creek, le bras de mer qui vient lécher les pieds de la ville et ses buildings.

Deux ponts nous séparent de notre mouillage, le Burrard Bridge, 92 pieds de hauteur, puis le Granville Bridge, 87 pieds pour lui. Toujours la même appréhension quand on se présente sous un pont : va-t-on passer ? le mât n’aurait pas poussé pendant la nuit ? on ralentit, on retient notre souffle, et puis ça passe, oufff. On a 20 mètres de tirant d’air, donc pas loin de 65 pieds, il faut donc quelques pas de plus pour que la girouette se frotte au tapis du pont, mais quand-même, c’est difficile d’évaluer par « en bas » la distance qui reste libre là-haut …

On avance le long des rives d’une ville à plusieurs étages, à plusieurs vitesses, multicolore et multiculturelle. Ici vivent plus de 670’000 citadins, et pas loin de 2 millions et demi dans l’agglomération. Ca fait du monde ! Ca change de nos derniers mouillages … On se réjouit de partir à la rencontre de cette nouvelle réalité. Pour l’instant, les immeubles défilent, plus hauts les uns que les autres, quasi tous en métal et grandes parois de verre, petits immeubles confortables en bordure de canal, grandes tours hissées derrière pour avoir elles-aussi la vue sur l’eau et tous ces bateaux qui nous entourent. Et puis au bord de l’eau, des pistes cyclables et du gazon des massifs de fleurs des arbres des buissons, tout ce qu’il faut pour faire le bonheur des piétons et des amateurs de mobilité douce.

On pose l’ancre entre deux marinas, il y en a plein dans False Creek, entre deux ponts, il y en a trois en tout sur ce plan d’eau, il fait beau, c’est génial d’arriver en ville avec le soleil, elle brille de mille feux et les couleurs des arbres embrasent les rives. On sort les vélos, et on part découvrir. Profiter d’un climat sec pour faire le tour du territoire entre la Cité des Sciences et le Stanley Park, territoire qui regroupe les quartiers de Chinatown, Gastown, YaleTown, Westend et leurs ambiances particulières. Gastown, quartier fondateur : la ville s’est créée autour des usines à bois et du premier pub ouvert par Gassy Jack, un marin et barman arrivé en 1867, pour y accueillir les ouvriers à la sortie du boulot … Gastown, la ville de Gassy …

Partout les vélos sont bienvenus, les gens super accueillants, détendus, il semblerait que la ville soit très portée sur le bien-être, le sport, la nature y a toute sa place, les menus dans les restau sont très verts eux-aussi, il y a pas mal de musées et d’intérêts culturels, je sens qu’on va y être bien.

Du 13 au 20, on passe quelques jours à visiter Vancouver, avec malheureusement pas mal de pluie, ce qui réfrène les ardeurs des deux navigateurs, surtout d’un … Je me balade quand-même du côté des centres d’intérêt majeurs à mes yeux : la manière dont l’homme vit sur place et relate sa relation au lieu, et ça passe surtout par l’art, l’architecture accessible depuis la rue, et les églises.

Je vais visiter la galerie Bill Reid qui retrace un tout petit peu le parcours de cet amérindien et qui laisse la place à d’autres artistes, et puis la Vancouver Art Gallery (l’équivalent de notre musée des Beaux Arts) qui propose différentes expos, et présente notamment le travail d’Emily Carr, artiste peintre colombritannique (exposition minuscule au final, une toute petite salle lui est dédiée). Je suis curieuse de voir comment ils traduisent la nature qu’on visite. Comment ils travaillent les lumières, les reliefs, la végétation, ce qu’ils donnent à voir des paysages que nous n’avons pas vus, et puis comment ils interprètent ce qui est très codé ici, quand il s’agit de peindre de manière traditionnelle, et de respecter le langage graphique des anciens.

Et puis par chance, alors que je vélote en ciré de la tête aux pieds, la Christ Church Cathedral est ouverte (étonnamment les églises sont souvent fermées par ici) … je m’y engouffre, ruisselante.

Née à la fin des années 1890, de style Gothique, elle est tout de pierre bâtie, pierre beige gris, très basse, très longue, toit bleu-noir en zinc à deux pans, longues fenêtres en ogive, elle est basse, surtout en regard des innombrables gratte-ciels qui l’entourent. Étonnant. Son intérieur me surprend par la chaleur et la douceur de son atmosphère : tout est en bois, du sol au plafond, de différentes teintes ; le vernis renvoie la lumière, et fait scintiller l’ensemble. C’est léger et réconfortant, chaud et accueillant, on a juste envie de s’asseoir là et de se laisser bercer un moment. De grandes orgues laissent imaginer des messes chaleureuses. C’est une église qui se démarque aussi par sa modernité, bien installée dans l’air du temps de sa communauté, les mariages pour personnes de même sexe y sont célébrés depuis 2003.

Sinon, je passe beaucoup de temps le nez en l’air dans la rue, je suis un vrai fléau avec mon vélo, je regarde plus ce qui est à voir que ma route … le downtown de Vancouver est hyper riche en créativités architecturales, et c’est à l’immeuble qui défie les lois de la pesanteur, à celui qui brille le plus, à celui qui offre le plus de transparence, ou qui intègre le plus de verdure, bref, après les sapins et les sapins et les sapins de nos précédents mouillages, ici on ne sait plus où donner de la tête, les yeux sont happés continuellement par une nouvelle surprise. C’est génial, j’adore. Les styles se mélangent joyeusement pour mon plus grand plaisir.

Du 20 au 27, on navigue dans les Gulf Islands, et on joue avec la frontière entre Canada et USA. Notre terrain de jeu est à nouveau plus proche du « sauvage », bien que passablement habité. Des petites (et plus grandes) maisons se nichent un peu partout, dès qu’une crique permet d’y installer une petite propriété au milieu des arbres et des sapins. On a de la chance, le soleil est de retour et illumine les taches rouges, jaunes et dorées des feuillus au milieu des verts épineux. Le tout sur fond bleu, c’est éclatant.

Winter Bay, Friday Harbour, Anacortes (pour laisser passer le gros vent), Shaw Island, San Juan Island, chaque petit mouillage cache un petit trésor. Par ici des crabes à profusion -on est étonnés de ne pêcher que des mâles … et c’est là qu’on découvre que les crabes sont territoriaux : les mâles vivent avec les mâles, et les femelles avec les femelles, donc si tu pêches des femelles (obligation de les relâcher) tu n’as plus qu’à changer de mouillage pour aller choper des mâles ailleurs-, par là des huitres endémiques (les huitres Victoria, grosses comme des pièces de 2 francs bien qu’elles aient 4-5 ans), de l’eau chaque jour un peu plus froide (les bains s’espacent de plus en plus, mais bon, quand on est au port c’est pas le meilleur endroit) et elle est proche des 10 degrés maintenant.

On a le grand plaisir de se frotter aux agents douaniers et de les fréquenter de plus près que ce qu’on souhaiterait … sans problème aucun, mais il faut faire preuve de beaucoup de patience !! On peut faire les démarches par téléphone, mais les règles semblent changer chaque fois qu’on a une autre personne en ligne. Certains nous disent noir, et d’autres blanc. Le comble appartient à l’agent canadien que nous appelons pour préparer notre arrivée à Victoria, qui ne re-connait pas Victoria comme port d’entrée canadien … Tout cela parce que son système informatique ne liste pas Victoria, mais reconnaît seulement le nom du quai où nous accostons (que nous ne connaissons pas au moment où nous accostons …). Quelques coups de téléphone plus tard -heureusement il y a une cabine téléphonique sur le quai d’accueil avec ligne directe pour les douanes- nous pouvons enfin débarquer à Victoria, aux pieds du Palais du Parlement, en pleine ville. A nous les plaisirs urbains à nouveau, cette fois sans même avoir besoin de prendre l’annexe puisque nous sommes à quai !

Victoria, du 27 au 30 octobre

Alors voilà une petite bourgade super sympa !

90’000 habitants en gros, beaucoup se baladent en vélo, la mobilité douce occupe bien son terrain, et la ville lui fait la part belle.

Pour arriver à Victoria, on entre dans un bras de mer qui serpente dans la terre, autour duquel la vie s’est étendue. On est donc vraiment au cœur du vieux Victoria, et les quartiers environnants reflètent bien les activités qui se déroulaient autour du port … vieux bâtiments de brique rouge rose orange, de teinte très douce à l’œil, dans un style très … victorien … haha, mais pas seulement. Les anciens entrepôts, usines variées à taille humaine, petits immeubles à frontons, beaucoup d’espace, c’est une jolie ville qui respire dans un climat plutôt privilégié, ensoleillé à cette saison, et pas trop froid.

On est aux pieds du Parlement, incroyable palais qui revêt ses parures de lumière tous les soirs, un peu Disney Land, mais il a le mérite d’être un plaisir pour les yeux.
On participe à une petite visite guidée des lieux, et on peut même assister aux débats qui ont lieu dans l’amphithéâtre, c’est super intéressant. Au menu du jour : la reconnaissance des crédits accadémiques et des diplômes étrangers, et surtout l’énorme difficulté que rencontrent les étrangers venus chercher l’eldorado en BC …

Début novembre

A Victoria, on a profité d’un temps sec et ensoleillé, et puis d’un quai propre et large (ça facilite largement les manœuvres) pour commencer à préparer Myriades pour l’hiver, en lui retirant délicatement toute sa garde-robe. Grand-voile, génois, trinquette, taud, lazy bag, tous les « tissus » ont trouvé place au chaud et à l’abri de l’humidité, chacun rangé dans son sac à l’intérieur.

Ce qui fait qu’on a rallié Sidney au moteur (ouaip, finalement c’était pas une navigation si différente des autres jours … sans voile et au moteur, ça a été un peu le quotidien depuis qu’on est en Alaska et Colombie Britannique), pour aller poser le bateau à terre pour nos mois « off » …

Une nouveauté cette année : on laisse le bateau au froid, au mouillé, à l’humidité importante, dans une région où il est fort probable que les températures descendent au-dessous de zéro … donc risque majeur de gel … donc risque important que les conduites, les robinets, les pompes et les tuyaux pètent s’ils sont mal siphonnés, si par mégarde de l’eau reste dans les circuits … C’est la première fois qu’on doit tout purger, et qu’on s’amuse à souffler dans les clarinettes pour extraire un maximum d’eau, en plus de remplir les circuits d’antigel …

Sinon c’est comme d’hab : trier, éliminer, ranger, mettre sous vide, en sacs étanches, tout abriter de l’humidité (textiles, papiers, bouffe), laver, nettoyer, vider, ouvrir tous les coffres, toutes les trappes, tous les sous-coffres, pour que l’air circule au max et que les jolis petits champignons verts -qui se développent partout quand l’air n’est pas sec- limitent leur prolifération … retirer l’électronique, la girouette, sécuriser l’extérieur, bâcher, saucissonner, brancher le déshumidificateur et le chauffage, cadenasser les vélos, et puis fermer la porte à clé pour quelques mois, sauter dans un taxi, sauter dans un avion, puis un deuxième et même un troisième cette fois, pour venir enfin serrer dans nos bras nos fils et nos familles, nos amis et tous ceux qui nous manquent toute l’année.

On est au pause jusqu’à mi-mars. On reviendra préparer le bateau à Sidney pour repartir à la rencontre de l’Alaska de l’est, oui, on va remonter au nord de la BC quelques temps, pour jouer encore avec les glaçons au milieu de cette nature incroyablement belle et tellement intense, loin de tout, dans le wild … et puis après, la route n’est pas claire pour l’instant, évidemment on redescendra de là-haut, mais on ne sait pas encore où les vents nous mèneront …

Bel hiver à vous, et à très vite pour la suite des aventures

JOLIES PHRASES

« Anne Lamott : « Les phares ne sillonnent pas les îles en courant à la recherche de bateaux à sauver ; ils se contentent de se tenir droit et de briller. »

Sylvain Tesson – Cédric Gras : « la valeur des sentiments ne se mesure pas à la fréquence de leur expression »

Mélanie : oui, mais les tomates ont besoin d’eau tous les jours pour pousser et s’épanouir

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